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Acrylique sur papier figurant l'impuissace par Christan Dominici

Un président, à quoi ça sert ?

La hiérarchie militaire semble avoir oublié qu’à l’origine elle a pris le pouvoir  pour édifier l’État algérien. Après s’être accaparée des leviers de commande voici près d’un quart de siècle, elle manœuvre aujourd’hui pour les garder à son profit et ce, non pas pour parachever l’œuvre de construction mais pour contrôler la manne pétrolière. Pour faire bref : Boumediene a construit la Sonatrach pour la mettre au service de l’Algérie, Chadli et Bouteflika (présidents de façade) s’en sont emparée pour en détourner les capitaux vers la nomenklatura militaire et leur propre entourage.

Tous les regards se tournent vers l’armée après la chute d’Abdelaziz Bouteflika. Jamais l’institution militaire n’a été autant mise sous pression par la société dans son ensemble. Son rôle dans la vie politique fait désormais débat.

Boumediene, un personnage-clé

On sait depuis Ben Bella que l’armée représente le pouvoir réel. Même les anciens opposants qui depuis l’instauration du multipartisme en 1989 ont servi de tapisserie à ce régime autoritaire ont joint leurs voix au concert de réactions et d’indignation. Au-delà de l’aveu à peine dicible que les conditions de l’existence d’une véritable opposition n’ont jamais revêtues une consistance réelle ; posons tout d’abord cette question dont la réponse passe pour être évidente : pourquoi l’armée fut-elle amenée à s’immiscer dans la vie politique du pays ?  Longtemps  l’intrusion militaire  a été justifiée par la nécessité d’édifier l’État-nation algérien éprouvé par cent trente années de colonisation. Houari Boumediene, en sa qualité de commandant en chef de l’armée des frontières avait incarné cette voie. Par la force des armes il avait imposé dès l’indépendance Ahmed Ben Bella comme premier président de la République algérienne avant de le renverser et de prendre sa place par le coup d’Etat du 19 juin 1965. Boumediene fut certes un officier de l’armée, mais il avait toujours fait en sorte d’éloigner les militaires des affaires publiques. Sa gouvernance reposait essentiellement sur un personnel civil. Politiquement borné, ce despote avait cru en sa politique dirigiste pour assurer le développement de l’Algérie. Pour atteindre ses objectifs, il avait fait assassiner quand il n’avait pas poussé à l’exil tous ses opposants et interdit toute critique ciblant sa personne et son régime avec l’aide de sa redoutable Sécurité militaire (SM).

Néanmoins son action en faveur de l’industrialisation du pays et du recouvrement de la souveraineté nationale sur les hydrocarbures ont permis de hisser le niveau de vie des citoyens et à rendre accessible l’école au plus grand nombre. Sous son règne les couches les plus défavorisées de la société ont eu droit à une couverture sociale et beaucoup de jeunes ont pu obtenir un travail.   Autre trait qui a caractérisé les années Boumediene : l’austérité. Sur les étals des magasins on ne trouvait que le strict nécessaire.  Néanmoins la corruption a existé sous son règne.  Le premier grand scandale qu’a connu l’Algérie avait éclaté pendant ses mandats. A la faveur de la conclusion en 1971 du contrat entre l’entreprise américaine Chemico et Sonatrach pour la construction de l’usine de liquéfaction d’Arzew, Messaoud Zéghar, ami du chef de l’État algérien, empochera une commission de 2,75 millions de dollars. Le contrat fut résilié trois années plus tard sans qu’on ne sache comment le pot aux roses fut découvert.  D’après les chroniques l’autre affaire de corruption connue est celle qui a éclaboussé le ministre des Affaires étrangères de 1963 à 1979 : Abdelaziz Bouteflika, lequel aurait puisé 60 millions de francs dans les caisses des chancelleries algériennes à l’étranger.  

Chadli Bendjedid préfigure le système Bouteflika

Coopté par Kasdi Merbah, directeur de la SM, Chadli Bendjedid est intronisé président de la République après la mort de Boumediene.  Le patron des services secrets juge inopportun de succéder à son ancien chef préférant remettre son ambition à plus tard. Le choix porté sur Bendjedid répondait au postulat  que celui-ci est facile à faire partir au moment venu.  Il avait dirigé la 2e Région militaire sans trop de passion se déchargeant de ses tâches sur ses proches collaborateurs. Parmi ce cercle, on retrouve le lieutenant Mohamed Mediene alias Toufik, futur patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS)  ainsi que le capitaine Larbi Belkheir, chef d’état-major de la 2e région et futur chef de Cabinet puis ministre de l’Intérieur sous le même Bendjedid. Il s’avère que Merbah a fait de mauvais calculs, car le successeur de Boumediene va tomber très rapidement sous l’influence de Larbi Belkheir rappelé aux côtés du nouveau chef de l’Etat. C’est ainsi que le directeur de la SM sera progressivement mis à la marge.

 Pratiquement les fonctions de président furent exercées par Belkheir qui parvient à avoir la mainmise sur des ministères-clés comme ceux de la Défense, de l’Intérieur, de la Culture, de l’Information, du Commerce, des Finances et de l’ensemble des services de sécurité. Chadli qui tenait à la « déboumedienisation » crut bon de détruire un pan de l’économie nationale en amorçant l’opération dite « restructuration des entreprises ». Le « made in Algeria » disparaît alors que l’on vit fleurir deux nouveaux métiers, celui d’importateur et de déclarant en douane. Ce phénomène faisait suite au retrait par le gouvernement des monopoles d’importation que détenaient jusque-là les sociétés nationales. Cela a ouvert la voie à la perception de commissions de plus en plus importantes sur chaque container à destination de l’Algérie. Les proches du président ainsi que les colonels de l’armée auxquels Chadli offrira dès 1984 le nouveau grade de général sont les premiers bénéficiaires de ces commissions. Sous Chadli l’austérité est enterrée, les marchandises en provenance du monde entier inondent les marchés. A l’ombre de ce chef d’état, Larbi Belkheir amassera une fortune colossale qui avoisine le un milliard de dollars provenant de commissions perçues dans nombre de contrats. De plus, le chef de Cabinet de Chadli s’est arrangé pour impliquer la famille et la belle-famille du président de sorte à s’assurer une protection totale contre toute déconvenue.   

Le général Belkheir introduit le DRS à la présidence

Pressé d’en découdre avec Kasdi Merbah qu’il soupçonne à juste titre de vouloir prendre sa place, Chadli nomme en 1979 à la tête de la SM Noureddine Zerhouni. Celui-ci n’y demeurera pas longtemps. En 1981 Medjoub Lakhal Ayat, un ancien maquisard de l’ALN est désigné pour lui succéder. Redoutant malgré tout un coup tordu de la part des services, Chadli décide en 1987 de les scinder en trois entités.  Mais à l’affût,  Belkheir ne tarde pas à renverser la situation à son avantage : en 1990 il impose à Chadli de réunir les trois démembrements de l’ancienne SM sous le nom du DRS avec comme patron  son homme lige Mohamed Mediene. Larbi Belkheir instaurait ainsi un système permettant la prédation des deniers publics en toute sécurité. Une vingtaine d’officiers supérieurs vont alors faire main basse sur les  sociétés nationales ainsi que sur des organismes publics afin de percevoir des commissions sur chaque marché conclu par l’État. Des généraux s’adonnent à l’importation via des prête-noms en fondant des sociétés « d’import-import ».  Pour symboliser cet « âge d’or «   de la prospérité algérienne dopée par l’envolée des prix des hydrocarbures (42 dollars le baril à la fin de 1980 contre 13 dollars en 1979), Chadli fait ériger sur les hauteurs d’Alger un « Centre des arts » dénommé Riadh El-Feth. Inauguré en 1986, ce projet assorti d’un monument dédié aux martyrs de la guerre d’indépendance, est baptisé par les Algériens Houbal du nom d’une divinité mecquoise préislamique. Plus tard Bouteflika n’innove pas en la matière, si tout juste s’il n’a pas changé de registre, en passant de la religion laïque à la religion islamique. Sa trouvaille est d’édifier le plus haut bâtiment d’Afrique – la grande mosquée d’Alger- à la gloire d’Allah.

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