Le Dr Saïd Sadi s’est montré partisan de « tout ou rien » en s’adressant via une vidéo au Dr Mourad Dhina, patron du mouvement Rachad. Comme à son accoutumée Sadi a fait preuve d’une verve caustique. Adoptant un ton délibérément hautain, le démocrate invétéré, donna l’impression d’un soldat guerrier décidé à asséner des flèches acérées à son ennemi. Dhina a pris pour son grade. Ce dernier a dû écarquiller les yeux en entendant discourir l’un des principaux soutiens de la junte militaire dans les années 1990. Après lui avoir porté le chapeau de tous les maux, Sadi achève son laïus par exhorter les militaires à « retourner à leurs casernes ». Sadi n’explique pas pourquoi il a changé d’avis, pourquoi il appelle aujourd’hui l’armée à se retirer de la politique alors qu’en 1991 il avait appelé à l’intervention de celle-ci pour stopper le processus électoral ? Il aurait pu faire preuve d’humilité en reconnaissant avoir commis une erreur. Mais à ma connaissance, l’unique fois où Sadi a reconnu avoir fauté c’est lorsqu’il déclara au lendemain de sa défaite électorale de 1991 qu’il s’était « trompé de société ». Cette confession ne préluda-t-elle pas à une suite d’errements qui devaient le jeter dans la gueule du loup ?
Sadi et l’Histoire
Défenseur acharné de Abane et de la Soummam, Saïd Sadi est pourtant le moins bien placé pour se revendiquer de ce héros de la Révolution, lequel paya de sa vie pour avoir exigé l’éloignement des militaires de la décision politique. Abane a préféré mourir dans la dignité que céder le pouvoir à une poignée de chefs de guerre. N’est-ce pas que c’est curieux ? Pourquoi déclarer vouer une admiration sans bornes à Abane et s’échiner en même temps à fouler aux pieds les principes qu’il a légués ? Il n’y a que l’art oratoire de Sadi qui peut concilier l’irréconciliable. Maîtrisant l’art du mensonge et du mensonge par omission, il accuse Dhina d’avoir eu des contacts secrets avec la police politique en voulant comme preuve le fait que Kasdi Merbah, ex chef de la SM l’avait rencontré en Suisse. Cette information n’est pas un scoop (vous pouvez la retrouver dans le dossier que j’ai consacré à Merbah ( article daté du 31 décembre 2018). En vérité Merbah à cette époque était patron du MAJD, parti qu’il avait créée à la suite de son limogeage du poste de chef de gouvernement par Chadli. En effet, Merbah avait quitté la SM en 1979 après la mort de Boumediene. Quoi de plus normal donc que de rencontrer un chef de parti légal qui avait l’habitude de se réunir à Alger avec d’autres partis ?
Mais ce que j’ai remarqué chez Sadi, c’est ce manque flagrant de probité intellectuelle, un désintéressement royal à l’égard de la vérité historique. Depuis le coup d’État de janvier 1992, l’ex patron du RCD ne cesse de proférer le mensonge qu’Hitler avait pris le pouvoir par les urnes. Or le Führer est devenu chancelier par cooptation des élites bourgeoises allemandes. On aura également entendu de sa bouche que Messali Hadj est un traître. Ce qui est tout à fait aberrant. En réalité, le père du nationalisme algérien fut opposant au FLN auquel il disputait le leadership. Messali n’a jamais renoncé à la revendication de l’indépendance de l’Algérie. Il aurait mérité le qualificatif de traître s’il avait pris fait et cause pour la France. Ce n’est pas le cas. Sadi n’avait fait, en fait, que reprendre à son compte l’accusation du FLN historique à l’encontre de Messali. Devenu tabou, le régime de Boumediene avait interdit jusqu’à la prononciation de son nom.
Sadi et la démocratie
Pur produit de la guerre civile des années 1990, Sadi a fourbi ses armes dans la pénombre et le marécage glauque des liaisons dangereuses. En refusant de s’asseoir avec les islamistes, Sadi choisit son camp. Une photographie célèbre a immortalisé l’instant en le montrant commensal d’un général criminel de guerre. C’est cette immersion dans la guerre civile qui amena le docteur à exceller dans le détournement des concepts, faisant de l’autoritarisme du régime une valeur sûre de la démocratie. Pour Sadi « la démocratie aujourd’hui c’est la résistance » . Pour lui, être démocrate c’est s’opposer aux islamistes. Il avait soutenu pendant les années de braise qu’en matière des droits de l’Homme, les islamistes ne méritent pas qu’on les mettent sur le même pied d’égalité que les autres citoyens algériens. L’homme assume un langage tout à fait guerrier caractéristique des militaires. Or être anti-islamiste ne fait pas de vous un démocrate. Être démocrate, c’est avant tout, oser dire la vérité et dénoncer toutes les oppressions qui s’abattent sur les citoyens de quelque chapelle politique qu’ils soient. C’est surtout exiger le respect de la constitution du pays et l’application rigoureuse des lois. Hélas, le militant flamboyant du MCB que fut Sadi se résorba en un homme politique intriguant et froid. Les convictions démocratiques dont il ne cesse depuis de faire étalage ne sont en réalité que du parfum. Un chef de parti politique qui plus est d’opposition pourrait-il appuyer le refus de délivrance d’un agrément à un autre parti en voie de constitution ? Cela est inconcevable en démocratie, seules les lois de la République définissent le licite et l’interdit. Et bien Sadi l’a fait. Arborant le costume du juge, il n’a pas hésité à soutenir publiquement le refus par Zerhouni, alors ministre de l’Intérieur, de délivrer l’agrément au parti WAFA. Voilà ce qu’est être démocrate pour Sadi. Tout mouvement dont les idées ne lui conviennent pas n’a pas le droit de s’exprimer.
Figure de la démocratie de façade, Saïd Sadi a participé aux côtés des islamistes à au moins deux élections présidentielles. Les autorités à en croire l’ex wali d’Oran, Bachir Frik, ont été contraintes d’intervenir pour « aider » les candidats Sadi et Boukrouh à collecter les signatures exigées par la loi pour pouvoir prendre part à la présidentielle de 1995. Ni Boukrouh, ni Sadi n’ont esté en justice cet ex. wali.
On sait que les supporters de Sadi se recrutent dans leur majorité, soit parmi les berbéristes, soit parmi les francophones et les gens hostiles à l’arabisme, soit parmi les anti-islamistes. Sadi, en fait n’a jamais été apprécié en tant que démocrate, car il n’en est pas un. Les partis politiques dans leur quasi totalité ont diffusé de l’idéologie à l’excès. On venait aux marches du RCD ou du FFS à cause des mots d’ordre de « tamazight, langue nationale et officielle ». Les partis berbéristes ont mobilisé leur troupe sur une base linguistique pour ne pas dire ethnique. En Algérie, et c’est primordial, se sont les valeurs du berbérisme, de l’islamisme et de l’arabisme qui sont les plus répandues dans la société.
Très peu se soucient de savoir si leur leader défend la démocratie ou non. Ce qui les intéressent au plus haut point, c’est selon les régions, l’engagement pour la cause arabe, berbère, islamiste ou anti-islamiste. C’est cet anti-islamisme débridé qui ont incité des écrivains francophones comme Yasmina Khadra ou Amin Zaoui à apporter leur soutien à Sadi pour lequel ils nourrissent une admiration qui ne s’est jamais démentie. Cette inclination presque maladive est commune à presque la totalité des écrivains algériens contemporains de langue française. Ces derniers considèrent l’islamisme comme un phénomène sans rapport avec le système politique et les institutions étatiques. Tandis que Sansal se perd dans le dédale des ténèbres de l’intégrisme islamique, Rachid Boudjedra a cru bon de s’afficher avec le général qui fut commensal du même Sadi. Aussi, quand ces écrivains s’arrêtent-ils sur l’islam politique, ils l’isolent et le figent dans une espèce d’excroissance sociale dont ils espèrent guérir grâce à une intervention chirurgicale. Leur quasi totalité concentre leur critique sur les comportements et les attitudes qu’adoptent les franges de la population ayant adhéré aux valeurs « islamiques ». Il est surprenant de constater que Hocine Aït Ahmed, bête noire du DRS et du commandement militaire, n’a pas attiré autant l’attention de ces écrivains, du moins les plus médiatisés. Pourtant le fondateur du FFS est à la fois berbériste, francophone et nationaliste. Mais pourquoi malgré ses atouts, il ne fut pas écouté ? C’est que le chef historique du FLN n’a pas hésité à soutenir les islamistes. Ce qui passait aux yeux d’Aït Ahmed comme un acte en faveur du renforcement de la démocratie, était apparu pour d’autres comme une abdication face à l’islamisme. Pour autant les responsables du FIS y compris Abbasi Madani et Ali Belhadj sont intellectuellement très limités. Le FIS était très facilement manipulable comme le prouvent les évènements qui ont suivi. Dans le Majlis Ech-Choura siégeaient des agents du DRS et les deux cheikhs ignoraient tout de la combine. En réalité c’est le FFS qui était la hantise des généraux. Aït Ahmed, opposé à l’arrêt du processus électoral préconisait de réduire le FIS politiquement et à moindre frais. Confier le gouvernement à Abassi Madani ou à l’un de ses lieutenant aurait eu pour conséquence de démasquer ce parti. Les évènements ultérieurs survenus en Tunisie ont démontré que c’est la solution qui est à même d’éviter un bain de sang. Il aurait suffi de laisser ce parti dépourvu de capacités de gestion faire la démonstration de son indigence pour voir son audience s’éroder.
La « révélation » de Sadi sur BRTV
L’élection présidentielle de 2004 fut une élection particulière car la propagande du DRS avait réussi à incruster dans beaucoup d’esprits que c’est Ali Benflis qui a obtenu les faveurs de l’armée. Je me souviens que Sadi avait cru sincèrement à cette thèse. J’avais lu de lui une déclaration dans la presse de l’époque où il faisait remarquer que Ali Benflis avait été accueilli à Paris en grandes pompes laissant ainsi entendre que les jours de Bouteflika étaient comptés. Quelques mois plus tard, en pleine campagne électorale, le candidat Saïd Sadi clame à haute voix à Oran que Bouteflika ne passera pas ! Voilà pour le rappel du contexte. Justement lors de son passage sur BRTV lors du mois d’octobre de l’année courante, Sadi s’est trahi en affirmant qu’avant la tenue de ces élections il était allé voir le chef de l’État-major, Lamari pour lui demander une déclaration publique de l’armée dans laquelle elle s’engagerait à observer la neutralité lors de la prochaine élection. Les questions que j’aurais voulu poser à Sadi, sont celles-ci : pourquoi vous n’avez pas rendu publique cette information en temps réel ? Puisque vos actions sont fondées, selon vos propos, sur celles des autres partis, pourquoi vous n’avez pas fait comme le FFS qui quelques années auparavant s’était adressé, et ce publiquement aux « généraux décideurs et au chef de l’Etat » ? Mais pourquoi vous êtes allé voir Lamari plutôt que Bouteflika ? Est-ce que vous souhaitiez que le chef de l’État en fonction ne sache rien de votre action ? Ce serait alors très grave, n’est-ce pas ? Monsieur Sadi, vous n’êtes pas sans savoir que l’armée est dotée d’une aile politique qui est le DRS. Ne vous êtes-vous pas trompé de responsable ? C’est peut-être le général Toufik que vous aviez rencontré ? Celui-ci a dû vous rassurer que c’est Benflis qui allait remporter la joute. Votre rôle était de faire le figurant pour je ne sais quel intérêt. D’une certaine manière vous calquiez la méthode de Louisa Hanoune, donc quelque part, vous ne faisiez que dans le suivisme. Peut-être même que vous aviez vous-même persuadé Benflis qu’il est le futur gagnant ? La déclaration de l’armée a ensuite fait le reste.
Sadi par lui-même
Ayant fait des études en histoire et en littérature, je vais vous parler maintenant un peu de ce que révèlent les livres que j’ai pu lire de l’auteur Sadi sur sa propre personnalité. Je le dis tout de suite quand je lis Sadi, je regrette qu’il se soit mêlé de politique, car il écrit avec un art consommé. Ses livres disposent de qualités littéraires manifestes. Commençons par l’ouvrage Amirouche : Une vie, deux morts, un testament. Une histoire algérienne. Cette œuvre qu’on lit avec passion appartient au genre biographique. Quoiqu’on sent dans quelques passages pointer le romancier, (notamment lorsque est abordée l’affaire de la «Bleuite » et le passé ouléma d’Amirouche), cela est loin de diminuer de la qualité de l’œuvre qui expose une thèse tout à fait plausible. Voilà pour ce qui est du fond. Mais c’est sur la forme que le bât blesse. Sadi passe outre les règles qui régissent le récit biographique. On constate une intrusion du « je » qui vient manifester une présence massive du biographe dans son texte. Or dans la biographie, le biographe est tenu de s’effacer au profit d’une narration impersonnelle. Tout ce que le biographe a envie d’exprimer de personnel (notamment faire part des motivations qui l’ont amené à s’intéresser au personnage dont il souhaite raconter la vie) doit être consigné dans l’avant-propos ou la préface. Ne s’étant pas conformé à la loi du genre, Sadi emprunte de ce fait de nombreux traits au genre romanesque. Car il emploie la même technique que Shéhérazade dans Les Mille et une Nuits. L’histoire de Sadi se mire dans celle d’Amirouche. C’est ce qu’on appelle la mise en abyme, procédé qui consiste à incruster dans une image la même image mais réduite en proportion. On est donc en présence d’un récit dans un récit comme on dirait un film dans un film s’agissant du cinéma. Il est permis d’interpréter cela comme l’expression d’un moi narcissique et égocentrique préoccupé de ramener tout à soi. Cependant, sur le plan littéraire, Sadi a innové en commettant une « bio-autobiographie ». Aussi dans le roman Askuti (le boy-scout), rédigé en berbère, retrouve-t-on la figure du maquisard, c’est-à-dire du combattant de la guerre d’indépendance mais cette fois-ci confronté aux siens. Le narrateur qui vit à l’époque de l’indépendance se montre hanté par la violence psychologique sous toutes ses formes (coups, tortures, bastonnades, etc) qu’exercent les pères ayant vécu la guerre contre leurs enfants. Le fil conducteur entre la biographie d’Amirouche et Askuti est clair : la violence du père fondateur. Écrit en pleine tourmente du Printemps berbère , Askuti peut être interprété comme un récit prémonitoire anticipant le futur de Sadi. Je n’ai pas encore lu les Mémoires qu’il vient de publier mais j’ai attrapé quelques bribes sur elles, en regardant sa dernière prestation télévisée sur BRTV. Ce qui a attiré mon attention c’est le titre : « La guerre comme berceau » décidément Sadi se satisfait imaginairement à l’idée d’être un maquisard. Tout de même, cela ne doit pas être un hasard ! Qu’on se rappelle son identification à Abane, sa bataille (perdue ?) contre Messali mais surtout Aït Ahmed.
Duel avec Dhina
Comment lire alors ce duel avec Dhina sur lequel Sadi tente de coller l’image du FIS ? Le docteur laïque, il ne faut pas l’oublier, est aussi auteur de cet autre livre dont je n’ai pas pris connaissance du contenu : « Révolution du 22 Février, un miracle algérien ». Sadi ne s’est-il pas déjà approprié ce mouvement dont il rêve de prendre le peloton de tête ? Lui qui s’est trompé de société doit forcément se tromper sur lui-même. N’aurait-il pas fini par se persuader qu’il est un démocrate et que par conséquent la direction du mouvement du 22 février lui revient de plein droit ? J’essaye de m’expliquer ce ton belliqueux qu’il a réservé à son homologue « islamiste » ? Les dérapages commis par des éléments du Rachad sur sa personne sont-ils à l’origine de la brouille entre les deux hommes ? Je ne le crois pas, même s’ils peuvent effectivement y être pour quelque chose. Sadi a adopté un visage agressif. On aura remarqué cette insistance sur le véritable sens des mots. Il disait sur BRTV qu’il faut nommer les choses par leur nom, qu’il faut utiliser le mot laïcité à la place de l’expression « séparation de la religion de la politique », ne s’avisant pas qu’il est autant nécessaire de mettre le nom de « guerre civile » à la place du mot « terrorisme ». Ce réajustement sémantique n’est-il pas lourd de conséquences ? Ce qui est bizarre c’est que Sadi semble vouloir exiger face à son adversaire « tout ou rien » allant ainsi à l’encontre de l’esprit de réconciliation que nécessite un débat sérieux. N’est-ce pas que la politique , comme on dit, est l’art du compromis ? Que veut Sadi, une constituante sans Rachad ? Répéter la scène de l’excommunication du FIS ? Si c’est le cas il serait plus honnête de déclarer que l’Algérie n’est pas mûre pour la démocratie et tout le monde comprendra. Mais Sadi ne le confessera jamais en ces termes. D’abord l’homme appartient au système politique algérien, ensuite sa personnalité ne lui permet pas de rester à l’écart de la vie politique alors que de nouveaux leaders font leur apparition. Néanmoins, Sadi a dit quelque chose d’intéressant sur le média cité plus haut. Il y relevait un trait anthropologique de la société kabyle qui, d’après lui, s’est greffé sur la conduite des partis politiques qui en sont issus. Ce trait qu’il appelle « tismin n tnuḍin »( la jalousie des belle-sœurs) exercerait un pouvoir tyrannique sur les hommes politiques kabyles. Car ces derniers ont été élevés dans l’idée qu’ils doivent impérativement surpasser en tous points les fils de la belle-sœur ou de la voisine. D’après le biographe d’Amirouche, cette jalousie caractéristique des hommes kabyles est habilement exploitée par le pouvoir en place. On l’aura compris, Sadi donne lui-même l’explication du caractère narcissique de son égo que mettent en lumière ses œuvres littéraires. N’est-ce pas que l’’idée que Karim Tabou et Mohcine Belabbas puissent lui faire de l’ombre devrait l’insupporter ?