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Estampe représentant une bataille à Mascara entre l'armée française et les troupes de l'émir Abdelkader

Regard sur la Régence d’Alger

 

L’Algérie a fait partie de l’empire ottoman pendant plus de trois siècles. Cet article propose une lecture de cette séquence historique en prenant comme point de départ la visite qu’avait effectuée en Algérie Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre de Turquie. Il est toujours utile de lire le passé à l’aune du présent, cela est du domaine du possible…

Nous sommes le 22 mai 2006, comme je le disais, Alger accueillait Erdogan. Quoi de plus banal que la visite d’un officiel dans notre pays ? Mais, des Turcs, sincèrement, on n’en voyait pas beaucoup. Depuis l’indépendance de l’Algérie, nous ne sommes pas habitués à les voir venir. C’est une chose assez bizarre, dirions-nous, puisque ces derniers viennent d’un pays qui, jadis avait tant pesé et marqué d’une manière indélébile notre destin. Je me posais des tas de questions à propos de cette Turquie qui nous est devenue soudainement si étrangère, alors que sous le règne des Ottomans elle avait réussi à faire de la presque totalité de ce qu’on nomme aujourd’hui le Maghreb, une des provinces de son vaste empire. La venue d’Erdogan, la seconde du genre, faisait suite si mes souvenirs sont bons, à la visite qu’avait faite quelques mois plus tôt son compatriote le ministre des Affaires étrangères. Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres entre les visites des officiels turcs de haut rang et qu’on peut compter sur les doigts d’une seule main, et celles de leurs homologues français, incontestablement plus nombreuses. Nos hôtes de l’ancienne Sublime Porte ne se sont à la vérité jamais bousculés au portillon de l’Algérie, s’avisant d’arborer vis-à-vis de celle-ci une tiédeur rare. Comparativement aux Français qui avaient occupé l’Algérie pendant 130 années, les Turcs, eux, qui y étaient demeurés encore plus longtemps, soit quelque 314 années ; n’avaient pas été tentés par la redécouverte du pays. Quelle en est l’explication ?  Le coup de l’éventail pèse-t-il davantage que l’appel au secours à Barberousse ?

Quand Paris efface Istambul

Aussi, contrairement aux Français, les Ottomans ne semblent pas avoir gardé d’attache avec le sol algérien. Où sont passés ces Kourdoughlis, issus de mariages mixtes entre femmes algériennes et hommes turcs et qui, à un moment donné, avaient formé une importante partie de la population d’Alger ? Sans doute une partie a-t-elle dû se diluer dans les masses algériennes. Toujours est-il que les chroniques disent qu’une forte proportion de ces Kourdoughlis avait fui le pays pour regagner Istanbul.  Ils auraient été même suivis par une frange d’autochtones dont ils s’étaient attaché les services. On n’a jamais eu, du reste, des nouvelles de ces Turcs « Pieds-noirs ». On ne les verra pas revenir au pays. Dans nos aéroports, on ne croise pas d’émigrés algériens des rives du Bosphore. Il est surprenant de constater avec quelle facilité le temps peut gommer trois siècles de présence. Je n’ai jamais entendu parler ne serait-ce que d’un seul turcophone dans un pays qui compte des dizaines de milliers de francophones ! L’éclipse turque est vraiment foudroyante.

Ah ! J’allais oublier ce Erdogan. Je me souviens qu’il s’était rendu à la Casbah où il a dû visiter tour à tour quelques vestiges de l’ancien Odjak : la mosquée Ketchaoua, le palais du Dey Hussein et le palais de Mustapha Pacha. Il était accompagné de M. Abdelhamid Temmar, ministre de l’Industrie et de Mme Khalida Toumi, ministre de la Culture. J’ai été frappé par quelque chose d’assez singulier. Je m’aperçois que Khalida Toumi porte le même nom que celui du dernier gouverneur d’Alger qui régna sur la ville avant le début de la Régence ottomane. Salim Toumi, pour ne pas le nommer, maître d’al-Djazaïr Bani Mezghenna, avait sollicité officiellement l’aide des frères Barberousse pour délivrer la ville des griffes des Espagnols.

La reconquista

Quelques années avant l’appel de Salim Toumi, les Espagnols avaient achevé de reconquérir la péninsule ibérique. Entre-temps, la découverte de l’Amérique a eu pour conséquence de ruiner la route de l’or qui avait jusque-là permis aux cités du Maghreb d’entretenir le commerce avec le Soudan ou « Pays des Noirs ». La chute d’Oran et de Bejaia contraint Salim Toumi à conclure avec Ferdinand le catholique un traité par lequel il reconnaissait sa souveraineté. Les retombées de cet accord qui déplut à de nombreux Algérois sont désastreuses. Les Espagnols érigent alors sur l’un des îlots faisant face à la ville une forteresse, le Peñon, d’où ils peuvent contrôler le mouvement des bateaux algérois. Perçue comme une « épine plantée dans le dos de Djazaïr » , la forteresse est désormais en passe d’asphyxier la vie économique de la cité algéroise.

L’Algérie s’effrite…

Vers 1516, l’Algérie était entrée dans une phase d’effritement généralisé. Les États recoupaient souvent des réalités lilliputiennes. A l’ouest, le royaume zianide de Tlemcen, déjà affaibli par les coups de boutoir que ne cessaient de lui asséner les Mérinides de Fès ; est sérieusement ébranlé après qu’Oran eût été prise par les Espagnols. A l’est dans le Constantinois, un dissident constitue sur les décombres du royaume Hafcide de Tunis son fief qui s’étend jusqu’aux villes de Bône et de Collo. Au centre, Alger dont on vient de dire qu’elle est gouvernée par Salim Toumi ; s’était constituée en principauté marchande que défendaient les Taâliba, maîtres de la Mitidja. A Tènès Moulay Abdellah s’était proclamé roi tout en reconnaissant la souveraineté de l’Espagne. En Kabylie, alors que Bejaia était tombée entre les mains des Espagnols, la famille des At El Kadi et des Amokran fondèrent respectivement la dynastie de Koukou et des At Abbas. Au sud les Ben Djellab de Touggourt règnent sur les oasis de l’Oued Righ.

C’est dans ce contexte marqué par une insécurité totale que Salim Toumi va concevoir l’idée de faire appel aux frères Barberousse pour l’aider à se débarrasser des Espagnols.

Le « coup d’Etat » de Barberousse

Ce n’est pas la première fois qu’un roi fortuné clôt sa vie en tombant dans un piège fabuleux. Alors que Toumi prenait son bain, les mains du bourreau s’abattirent sur son cou. L’édile d’Alger eut juste une fraction de seconde pour se remémorer des images toutes insoutenables les unes que les autres : l’accueil triomphal qu’il venait de réserver à son assassin, c’est-à-dire Aroudj Barberousse qui, plus est, est un corsaire dont la notoriété en Méditerranée était solidement établie. 

En outre, une certaine littérature nous a fait connaitre les prétentions d’Aroudj sur Zaphira, l’épouse de Salim Toumi dont il espérait la main. L’histoire n’est peut être qu’une légende, qui plus est, s’était brodée autour de cette prise de pouvoir qui allait sur de longs siècles consacrer le règne des janissaires. On aurait pu dire dans le jargon politique d’aujourd’hui qu’il s’agit d’un coup d’État militaire. Il n’empêche, la légende a alimenté l’imagination des romanciers car le meurtre de Salim Toumi se double – quand bien même il n’a pas eu lieu -, d’un viol fourbe sur l’épouse de la victime. Aroudj pour ainsi dire voulait tout : le trône et la femme. Son premier rêve fut exaucé, mais pas le second. Dés qu’elle a appris l’assassinat de son époux, Zaphira s’est donné la mort pour échapper au déshonneur.  

L’Espagnol Diego de Haëdo, auteur d’une Histoire des rois d’Alger, fait débuter son récit par un chapitre sur Aroudj Barberousse dont il dressa un portrait peu amène. Il le décrit comme « le premier des Turcs qui régnèrent sur le pays et la ville d’Alger dont il s’était emparé par violence et par trahison ». Et l’auteur espagnol de poursuivre : Salim Toumi « ne pouvait supporter le dédain d’Aroudj, ni l’arrogance avec laquelle celui-ci le traitait publiquement dans son propre palais. Il se méfiait déjà de ce qu’il lui arriva quelques jours après ; car Barberousse, qui pensait nuit et jour à s’emparer de la ville, s’était enfin résolu, au mépris des lois de l’hospitalité, à tuer traîtreusement le cheikh de ses propres mains et à se faire reconnaître roi par force et à main armée. Afin d’accomplir son dessein sans bruit et à l’insu de tous, il choisit l’heure du midi où Salim Toumi était entré dans son bain pour y faire ses ablutions en récitant la salat, prière de cette heure […] il entra dans le bain sans être vu, car il logeait, comme nous l’avons dit, dans le palais même. Il y trouva le prince seul et nu, et à l’aide d’un Turc qu’il avait amené avec lui, il l’étrangla et le laissa étendu sur le sol ».

De la disparition de Salim Toumi

Du point de vue de l’histoire officielle, Barberousse n’a ni usé de violence ni trahi. C’est pourquoi dans sa logique, Salim Toumi n’existe pas tout autant que son assassinat. C’est dire que l’Histoire est implacable, elle ne retient que le nom des vainqueurs. Salim Toumi disparaît parce qu’il a fait l’erreur stratégique d’organiser la riposte contre la menace chrétienne en s’appuyant sur une force militaire étrangère. Mais n’exagérons pas, pour la mentalité de l’époque, Aroudj n’est pas aussi étranger que cela puisqu’il représente une autorité musulmane. Toujours est-il que la dernière dynastie berbère d’Algérie, les Zianides de Tlemcen en l’occurrence, avait commis une erreur encore plus grave en s’alliant avec le royaume de Castille. Cette erreur va lui coûter son existence. Disqualifiée par son alliance avec les chrétiens, Tlemcen est enlevée par les troupes de Barberousse et annexée à la Régence.  C’est ce haut fait d’armes qui allait faire d’Alger, la capitale du Maghreb central reléguant ainsi à l’arrière plan l’ancienne capitale des Zanata.   

La capitulation d’Hussein Dey

Après la mort d’Aroudj, son frère cadet Khaireddine  boute les Espagnols hors du Peñon avant de jeter les bases de la régence ottomane d’Alger. Le fait a été rendu d’autant plus possible que Khaireddine s’était attaché le soutien d’Istanbul qui lui envoya une troupe de janissaires bien équipée.    

Mais, trois siècles plus tard, la Régence s’écroule sous les assauts des troupes du Général de Bourmont presque dans les mêmes conditions que celles qui ont vu la disparition du petit royaume de Salim Toumi. Rompue à la course en Méditerranée, trop occupée à prélever les impôts sur les populations, la Régence n’a pu tenir trop longtemps face au corps expéditionnaire français. Après quelques jours de combats meurtriers, Hussein Dey capitule avant de prendre le premier bateau en partance vers l’Italie, donnant ainsi lui-même le coup d’envoi de l’exode des dignitaires du régime vers la Turquie et les pays d’Orient.  

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Le texte que vous venez de lire est une version profondément remaniée de l’article publié en 2011 dans le webzine Esprit bavard (qui a cessé de paraître) sous le titre « Chronique du temps oublié. Le dernier roi d’Alger ». L’article est aussi paru en version papier dans l’ouvrage Esprit Bavard. Algérie autrement dite, autrement vue (Edition Sencho, Alger, 2011).

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