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Alger mis à sac par les émeutiers d'octobre 1988. Vue sur la rue Didouche Mourad

La révolte du 5 octobre au miroir de l’Afrique subsaharienne

C’est en faisant le rapprochement avec les régimes de l’Afrique subsaharienne qu’on a tendance à trop négliger, qu’on peut trouver la clé de compréhension de l’événement qui a ébranlé l’Algérie et qui nous est connu sous le nom du 5 octobre 1988.

Il est difficile de concevoir le 5 octobre 1988 comme une date symbolisant l’ouverture démocratique en Algérie. Il est également difficile de lui associer une figure de proue, un leader. On a beau fouillé la mémoire, scruté les images d’archives, nulle part on ne trouve de meneur. C’est plutôt le pouvoir de Chadli Bendjedid qui est parfois désigné du doigt comme étant l’instigateur. Le 5 octobre 1988 n’est ni le Printemps berbère de 1980 ni le Printemps noir de 2001. Malgré tous ces travers, il y a une émotion qui est ressentie à chaque fois que l’on se rappelle de ces évènements qui ont eu leurs morts, leurs prisonniers, leurs torturés, leurs handicapés et leurs persécutés.  Avant que l’explosion n’éclate, on sentait chez le pouvoir de Chadli la volonté de se défaire du socialisme à la Boumediene. L’économie dirigée était à bout de souffle et ne pouvait tenir très longtemps face aux besoins sans cesse grandissants de la population. C’est sur fond de protestations sociales que le gouvernement de l’époque décide d’amorcer des réformes économiques.

Trente années de multipartisme chaotique

Au-delà des lectures multiples proposant d’expliquer les origines d’un soulèvement  d’une grande ampleur et qui a été réprimé dans le sang par l’armée ; il convient de s’arrêter sur les 30 années qui ont suivi cet événement.  C’est en prenant en compte ce qui s’est passé durant cet intervalle qu’il est possible de faire le tri entre les lectures qui restent dépendantes des circonstances et celles qui jouissent d’une autonomie. Cette période de 30 ans qui nous sépare de ces événements tragiques, est en fait, décomposable en 4 phases successives : 3 ans de Chadli, 2 ans de HCE, 5 ans de Zeroual et 20 ans de Bouteflika.  A l’opposé de la révolution du Jasmin qui a emporté le président tunisien Ben Ali, les événements d’octobre ne chassent pas Chadli du pouvoir mais lui permettent de tenir encore trois ans.  C’est sous la pression de l’armée que ce dernier quitte son poste pour se le voir remettre à Boudiaf, un ancien militant nationaliste rappelé d’urgence de sa retraite. C’est à lui qu’échoit la mission de couvrir politiquement l’arrêt des élections législatives remportées par le Front islamique du salut. Mais il sera assassiné six mois plus tard. Alors que Boudiaf avait préconisé de mettre le FLN au musée, ce parti, finalement lui survivra sous la forme la plus sordide. Ali Kafi, un autre ancien maquisard, bien que de moindre importance, est appelé ensuite à la rescousse pour suppléer à la place laissée vacante. L’ex président de l’Organisation des anciens moudjahidine (combattants) n’y restera que le temps nécessaire pour permettre à l’armée de préparer la succession. En janvier 1994 le HCE est dissous et le général Liamine Zeroual est désigné chef de l’État. « Élu » président de la république en 1995, il préférera écourter son mandat qui devait courir jusqu’à l’année 2000. A la faveur d’une élection présidentielle anticipée tenue en avril 1999 Bouteflika lui succède. Depuis lors, il n’a jamais quitté le pouvoir alors que son état de santé ne lui permet pas de se maintenir à ce poste de responsabilité.

On le voit bien, il n’y a rien dans l’enchaînement des événements depuis le déclenchement de la révolte d’octobre, qui puisse nous faire dire qu’il y a eu la mise en place d’un système multipartite. C’est le régime de Houari Boumediene qui s’est perpétué sous forme d’une inflation de partis politiques dont la plupart sont des coquilles vides. Aucun des partis agrée au lendemain d’octobre 88 n’est parvenu à s’emparer du pouvoir.

La conséquence directe du 5 octobre a été finalement une guerre civile atroce, puisque le multipartisme que le soulèvement populaire était sensé imposer, fut brutalement remis en cause.  Malgré trois décennies des plus infernales, marquées par des bains de sang à répétition (5 octobre 1988, guerre civile des années 1990, événements de Kabylie de 2001) le système politique algérien a continué de multiplier le nombre de partis politiques tout en veillant à en faire de même avec les médias en créant autant de journaux et de chaînes de télévision que de partis politiques. Il y a une symétrie de défaillance entre le multipartisme et la multiplicité médiatique. Sur les deux niveaux se pose la question de l’autonomie par rapport aux autorités en place. Tel propriétaire d’un média est un prête-nom agissant pour le compte d’un baron et tel dirigeant de parti est un client activant au profit d’un clan du système. La profusion des partis politiques et des médias ne rime donc pas avec la liberté d’expression. Dans un tel système on peut critiquer le président de la république mais sans pouvoir mener d’enquête ni dénoncer des cas de corruption avérés au niveau local à moins de prendre le risque de se faire jeter en prison.

Le multipartisme en Afrique subsaharienne

Cela posé, le 5 octobre apparaît de plus en plus comme un mythe moderne. Il est alimenté précisément par les médias et les partis politiques auxquels avait échappé la direction de la révolte populaire. C’est en faisant le rapprochement avec les régimes africains qu’on a tendance à trop négliger, qu’on peut trouver la clé de compréhension de cet événement qui nous est présenté comme le moment précurseur de la démocratie. L’Algérie n’est pas le seul pays au monde à s’être converti au multipartisme. En réalité, les États africains, les uns après les autres, avaient commencé dès la fin des années 1980 à opérer la même conversion, et ce, après avoir fonctionné durant 15 ans, voire 30 ans, sous le régime du parti unique, parfois pour certains, sous le régime d’aucun parti.  Omar Bongo, contemporain de Boumediene, qui fut à la tête de l’État pétrolier du Gabon depuis 1967, avait proclamé en 1990 le multipartisme dans son pays. Arrivé au pouvoir à la mort du président Léon Mba dont il était le vice-président, Omar Bongo sera élu à deux reprises dans le cadre du régime du parti unique, et à trois reprises dans le cadre du régime multipartite.

Dès la proclamation du multipartisme, le pouvoir gabonais entama la libéralisation du paysage médiatique. La presse écrite comptait en 2013, plus d’une vingtaine de titres, et l’audiovisuel s’ouvrait à une cinquantaine de stations radio et à une douzaine de chaines de télévision. Ayant régné près de 42 ans, Omar Bongo décède au pouvoir en 2009, laissant un pays rongé par la corruption.

En Côte d’Ivoire, on a l’exemple du président Houphouët Boigny, ancien ministre du gouvernement français, et autre contemporain de Boumediene. Il accède au pouvoir en 1960 pour ne le quitter que 33 ans plus tard. Dictateur régnant d’une poigne de fer, mais acculé par une protestation sociale multiforme, il autorise dès 1990 le multipartisme et les libertés syndicales. Élu à six reprises président de la république sous le parti unique, il sera réélu en 1990 après avoir instauré le multipartisme. Il mourra dans des conditions troubles. Affaibli par un cancer en phase terminale, Houphouët Boigny est pratiquement durant son dernier mandat aux abonnés absent. En l’absence du chef de l’État fréquemment hospitalisé à l’étranger, c’est le Premier ministre Alassane Ouattara qui s’est occupé de diriger le gouvernement. Selon Pierre Nandjui, biographe de l’ancien chef de l’État ivoirien, ce dernier a été maintenu en vie artificiellement afin de permettre de préparer sa succession. Il sera à l’en croire, débranché le 7 décembre 1993. On ne peut citer tous les exemples. Ce parallélisme avec les régimes de l’Afrique noire permet de replacer le 5 octobre algérien dans sa véritable dimension. Si le président Houari Boumediene était encore vivant dans les années 1990, ce n’est pas une vue de l’esprit que de dire qu’il aurait pu instaurer lui-même le multipartisme et renoncer au socialisme comme son « ami » le président béninois, Mathieu Kérékou a renoncé au marxisme-léninisme et au parti unique. Et peut-être que si Boumediene, en tant que véritable chef de l’armée et architecte du système politique algérien était encore vivant, le 5 octobre n’aurait jamais eu lieu.

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