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Montage photo illustrant le calendrier berbère

Jour de l’An berbère, le sens d’un calendrier

 La célébration officielle de l’An berbère, communément appelé Yennayer, a donné lieu à une polémique. De la guéguerre entre partisans et adversaires, se sont dégagés, néanmoins deux faits saillants:

1 — la réalité historique reconnue à cette fête qui plonge ses racines dans la nuit du temps et

2 — la réadaptation dont elle fait l’objet depuis les années 1980.

L’objet de cet article n’est pas de faire l’histoire de Yennayer mais de tenter d’en cerner la signification et ce, d’autant plus que l’État algérien a décidé de réhabiliter cette fête. C’est désormais acté, depuis 2018, le nouvel an berbère figure dans la liste des fêtes nationales et légales. Cet événement marque une rupture dans l’histoire des pays dits du Maghreb. Pendant longtemps, et plus particulièrement depuis la conquête musulmane du VIIe siècle, a prévalu l’idée selon laquelle l’extranéité, c’est-à-dire le fait d’être originaire du Moyen-Orient a davantage de valeur que l’autochtonie, c’est-à-dire le fait d’être un ressortissant du pays.

Il est établi que le calendrier berbère a partie liée avec le calendrier Julien, c’est-à-dire avec la présence romaine en Afrique du Nord. Toujours est-il, que les Imazighen (Berbères) lui ont imprimé un cachet particulier en l’articulant au monde agricole. Ce qui est sûr c’est que cette fête a été observée depuis au moins plus de deux mille ans, étant donné que le calendrier Julien avait été instauré vers 46 avant J.-C.  Le militant auressien de la cause berbère, Ammar Negadi, y a injecté ensuite un peu de théorie en faisant débuter ce calendrier (vers 945 avant notre ère), soit à l’arrivée sur le trône d’Égypte de Sheshonq Ier (Chachnaq), un pharaon d’origine berbère.  

Origine orientale des Berbères : une invention juive

Bien qu’au lendemain de la conquête musulmane les Arabes se soient illustrés par une abondante production de récits traitant de l’origine orientale des Berbères, ils n’avaient en réalité, que repris à leur compte les traditions juives sur le sujet.

Les récits hébraïques qui, plus est, bénéficient de l’appui des traditions religieuses juives, avaient fait des Berbères les descendants d’Abraham. Les deux fils de ce dernier, Japhras et Aphras auraient donné leur nom à l’Afrique. Du reste, les traditions juives insistent sur l’origine cananéenne des Africains 1 La vulgate hébraïque affirme qu’au temps de Josué, les Cananéens ont été expulsés de Palestine avant de regagner l’Afrique.

En outre, les récits des auteurs latins et grecs ayant écrit sur les Berbères, permettent de comprendre que ce genre de  littérature est gouverné par le même principe. Chaque peuple ayant occupé ou connu la terre nord-africaine, se montre soucieux de rattacher ses habitants à sa propre civilisation, ou du moins d’expliquer leur origine d’après les canons de sa propre culture.

Ainsi, les anciens Grecs (Byzantins) voyaient dans les Berbères des descendants de divinités nées entre autres, de l’union d’Apollon et d’Acacallis. D’autres légendes de la même veine insistent sur une origine fondée sur une association entre Grecs et Nord-Africains. Une partie des Berbères seraient des compagnons d’Héraclès qui auraient fondé la ville d’Alger. L’historien romain Salluste, sur la foi d’ouvrages puniques qu’il disait avoir lus, lie le destin des Berbères à celui des Phéniciens. Sous sa plume le mythe d’origine va s’enrichir de thèmes orientaux qui préludent à ceux des Arabes. Ainsi, des Mèdes et des Perses, connus pour être des peuples d’Iran sont identifiés dans le récit comme des Berbères.

La tradition chrétienne qui prendra le relais du judaïsme ne fera que renouveler les lectures de celui-ci. Un texte chrétien datant du IVe siècle, mentionne Cham comme l’ancêtre des Phéniciens, des Libyens, des Maures et des Numides. Saint-Augustin (dont la mère est Berbère) nous dira que les paysans de la région d’Annaba (Hippone) de son époque s’identifiaient à des Chanani (Cananéens).

Les Arabes reprennent les traditions juives

L’avènement de l’Islam n’avait fait, comme on l’a  déjà dit, qu’entériner la situation préexistante. Aussi, dès le IXe siècle- soit deux siècles après les futūḥāt- les lettrés arabes, ont commencé à évoquer dans leurs écrits, comme l’avaient fait avant eux les juifs, l’origine orientale des Berbères.

L’auteur égyptien Ibn ‘Abd al-Hakam qui vécut au IXe siècle, rendu célèbre par son ouvrage sur la « conquête de l’Égypte et du Mag̲h̲rib», fait venir les Berbères de Palestine ; leur émigration vers le Maghreb serait due, d’après lui, au sauvetage par Dieu du roi des Berbères Jalout qui était promis à la mort par David. Au Xe siècle, le célèbre Al-Tabari crut apporter des précisions en notant que les Berbères sont « un mélange de Cananéens et d’Amalécites.»  Ayant vécu à la même époque, Al-Mas’ûdi déclare que les Berbères sont « des débris de Ghassanides » et de tribus ayant pris la fuite suite au torrent d’Arim. Il est intéressant de souligner que certains savants arabes ont tenté de distinguer les tribus berbères les unes des autres, selon qu’elles sont alliées ou non du pouvoir politique des Arabes. Ils ont ainsi pu décerner à certaines une certification d’arabité tout en la déniant à d’autres. Ainsi l’historien abbasside Ibn al-Kalbi soutient que les Ketama et les Sanhadja « n’appartiennent pas à la race berbère ». Il les rattache à la population du Yémen qui, selon lui, avait été installée par Ifriqos en Ifriqiya (Tunisie actuelle).

Inséré dans la culture du conquérant, le Berbère a toujours vu sa langue et ses traditions reléguées à la marge. C’est la civilisation du migrant venu d’ailleurs qui est supposée représenter la valeur sûre. Cette vision a dû nourrir un sentiment d’infériorité à l’égard des nouveaux-venus.

Les dynasties berbères également impliquées

Plus tard, quand les dynasties berbères se constituèrent sous la bannière de l’Islam, elles se sentirent obligées de se prétendre orientales. Ainsi en a été des Zirides Sanhadja qui s’affublèrent d’une ascendance himyarite. Leur règne vit, au reste, une floraison de généalogies consacrées à la grande tribu de Ziri Ibn Mennad. L’auteur andalou Abu al- Ṣalt (Albuzale des Européens), qui vécut entre la fin du XIe et le début du XIIe siècle, composa le Kitâb al-dibâbjafi mafâkhir Sanhadja.  Ainsi, le surgissement des Berbères sur la scène politique, dut se produire au prix d’une manipulation généalogique qui passait à leurs yeux comme un moyen de se concilier l’ensemble des populations qu’ils ambitionnaient de gouverner.   

A partir des Muwaḥidūn, le mythe des origines va subir un nouveau remaniement. Les califes U-Tumert (Ibn Tûmart) et ‘Abd al Mu’min s’attribuent une généalogie qui les lient à ‘Ali, gendre et cousin du prophète Mohammed, premier imam des chiites. Cet acte constitue une innovation car il substitue à la filiation ethnique une filiation strictement familiale.

Les Berbères passés maîtres de fictions filiales stupéfiantes, ont réussi ainsi la prouesse de faire passer un groupe retreint de Masmouda du haut-Atlas marocain comme descendant de la famille du prophète de l’Islam ! Ils sont même parvenus à vendre cette image à l’Afrique subsaharienne dont ils entreprirent d’islamiser les populations dont, du reste, beaucoup de rois n’ont pas hésité à se déclarer parents- et ce, sans craindre la génétique.

Problématique de l’enseignement religieux

L’histoire religieuse qui n’est pas enseignée au Maghreb, du point de vue de l’histoire, mais du point de vue de la religion ; ne permet pas de saisir la réalité du mythe généalogique qui fait rattacher –par familles interposées- certaines personnalités maghrébines au prophète de l’Islam. C’est dire que le chérifisme n’est certainement pas encore appréhendé à sa juste mesure. L’émir Abdelkader est certainement l’une des dernières illustres figures qui ont perpétué l’idéal « oriental ». De nos jours encore la fiction généalogique semble solidement ancrée surtout dans les régions où les tribus avaient, sous la colonisation, connu un total démantèlement. Détruites, les filiations tribales ont cédé la place aux filiations religieuses, favorisant ainsi une crispation de la pensée. 

Mais pourquoi l’An berbère ?

C’est la révélation d’une nouvelle valeur : l’autochtonie. Cela fait près de 3 mille   ans qu’on est là ! On a précédé tous les peuples qui ont déferlé sur cette terre. C’est dire qu’il est inutile et vain de stigmatiser une telle lame de fond de réappropriation de soi, en lui trouvant des aspects artificiels.

BIBLIOGRAPHIE
Yves Modéran, « Mythes d’origine des Berbères (Antiquité et Moyen-âge) », in Encyclopédie berbère, n°32, 2010, epp. 5157-5169.

Maya Shatzmiller, « Le mythe d’origine berbère (aspects historiques et sociaux) », in Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n°35, 1983. pp. 145-156.

NOTES :

  1.   Le nom « Africains » n’avait pas le sens qu’il a aujourd’hui. Ce terme désignait les autochtones d’une province romaine Africa qui correspond à l’actuelle Tunisie. Par extension le mot a ensuite désigné l’ensemble des Berbères. Les Arabes à la suite des Romains ont appelé cette province Ifiriqiya.

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