J’ai remarqué que Chachnaq n’a pas été pris pour ce qu’il est véritablement, c’est-à-dire un mythe de fondation moderne comme il en existe un peu partout dans le monde.
Ceux qui l’ont pris ou feint de le prendre pour un personnage historique lui ont fait grief de faire intrusion dans l’histoire algérienne et ce, sans avoir respecté la moindre règle de vraisemblance qui puisse dégager une impression de vérité. D’autres ont remis en cause son origine berbère, alors que d’autres ont stigmatisé ses origines païennes, autrement dit son appartenance à l’époque antéislamique de la Jahiliya . Pourtant, un mythe se moque de tous ces détails. Plutôt que de supputer sur l’historicité du récit véhiculé par le mythe, il vaudrait mieux tenter de comprendre son rôle et pourquoi il existe. Chachnaq est la résultante d’une combinaison d’histoire et d’imagination. Il est né d’une reconstruction des faits qui se seraient déroulés il y a environ trois mille ans.
Les Berbères (les Algériens arabophones et berbérophones) avaient besoin d’un point d’ancrage historique pour faire débuter leur calendrier. Ce point d’ancrage, ils viennent de le trouver en le pharaon berbère, qui plus est, a été mentionné dans la Bible (2 Chroniques 12,3). Faut-il y voir un désir d’anoblissement ? Toujours est-il que ce roi de l’Égypte antique avait mené une campagne militaire contre Juda et Israël en mobilisant » mille deux cents chars et soixante mille cavaliers » composés de « Libyens, des Sukkiens et des Éthiopiens… » (2 Chroniques 12,3).
On sait que souvent les mythes de fondation prennent appui sur des guerres lointaines et oubliées, car les événements du passé font l’objet de relecture incessante. La guerre d’indépendance algérienne a permis de voir en Rome un ancien colonisateur et en Jugurtha l’ancêtre de l’émir Abdelkader. On l’aura compris, la résurrection d’un mythe constitue un marqueur d’une évolution politique et culturelle de la société. D’ailleurs ce type de résurrection est précédée toujours par des écrits retraçant la vie du personnage oublié. Le retour de la Kahina ou Dihya et son insertion dans la vie contemporaine algérienne fait suite à une profusion de production mythico-romanesque et de recherche académique prenant comme objet cette héroïne de la résistance à la conquête arabe. L’aboutissement de ce processus s’est concrétisé d’ailleurs par l’érection en son honneur d’une stèle à Baghaïa. Pour revenir à Chachnaq (Schischak de la Bible) : ce n’est pas seulement le travail du militant Ammar Negadi de l’Académie berbère qui a servi d’aiguillon à son retour spectaculaire mais il y a aussi les livres qui ont fait revivre le personnage. On peut citer l’Histoire d’amour de Sheshonq 1er roi berbère et pharaon d’Egypte de Youcef Allioui (2013) et Les chachnaq, pharaons berbères d’Égypte. Retour sur une vérité historique souvent méconnue de Kamel Chehrit (2016). On notera également le travail de vulgarisation autour du personnage réalisé par l’écrivain d’expression berbère, Brahim Tazaghart.
En outre, d’autres pays dont la France ont connu ces phénomènes de mythification consciente ou inconsciente de l’histoire. Des personnages tels Jeanne d’Arc et Vercingétorix furent à maintes reprises « retouchés » . Longtemps oubliés, on ne dut se rappeler de ces héros qu’au XIXe, voire au XXe siècle. L’exemple de Jeanne d’Arc que les Français avaient comparée à Lalla Fadma N’Soumer, est édifiant. Condamnée par l’Église et exécutée sur le bûcher en 1431 sur ordre des Anglais contre lesquels elle a pris les armes, son souvenir est revenu à la faveur de la Révolution française. L’historien Jules Michelet lui consacra un livre où il fit d’elle une » sainte républicaine » et l’ennemie jurée de l’Église. Par la suite, toute une littérature revisitant cette héroïne vint s’accumuler en sa faveur avant que le Vatican décide de sa canonisation et l’Assemblée nationale instituer en 1920 une fête de Jeanne d’Arc. Depuis, on vit se multiplier partout en France des stèles célébrant l’héroïne qui a « incarné le peuple français ».