Les coup d’État en Algérie couvrant les 3 premières décennies de l’indépendance (1962-1992) montrent une évolution du système politique malgré l’apparente inertie qui le caractérise. Bâti par les militaires, ce système avait tenté dès ses débuts de se présenter sous la houlette d’un historique de la Révolution du 1er novembre. Ayant jeté leur dévolu sur la personne d’Ahmed Ben Bella, les militaires devaient faire corps avec ce dernier pour jeter l’exclusive sur les autres historiques, notamment Mohamed Khider, Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf et Hocine Aït Ahmed.
La montée en puissance du clan d’Oujda
Dès l’été 1962 Ben Bella entreprend de constituer un bureau politique du FLN. Le 22 juillet ce dernier opposé au GPRA (Gouvernement provisoire de la république algérienne) annonce à Tlemcen la formation d’un « bureau politique » ayant pour objectif de prendre en main « les destinées de l’Algérie ». C’est un certain Mohamed Boukharouba dit Houari Boumediene, chef d’État-major de l’armée des frontières (stationnée au Maroc et en Tunisie) qui est derrière l’activisme de Ben Bella. En sus du soutien de l’armée des frontières, Ben Bella a obtenu celui de trois wilayas. En faisant l’annonce de la création d’un Bureau politique comme organe de direction du FLN, l’ancien prisonnier du château d’Aunoy, donnait ainsi naissance au groupe de Tlemcen connu également sous le nom de « groupe d’Oujda » en référence à la région qu’avait commandée par le passé Boumediene 1.
L’ascension de Ben Bella
Le GPRA représente le pouvoir légal et doit mettre en place les institutions du nouvel État. Il est composé des éléments les plus marquants de la Révolution qui sont perçus comme des civils du fait qu’ils ne commandent pas aux forces armées. A l’époque les Algériens ne connaissaient de leur système de défense que les maquisards et les maquis. L’armée au sens classique du terme, s’incarnait plutôt dans la soldatesque coloniale. On n’avait pas encore vu de soldats FLN transportés par des camions ou des jeeps. Mais cela ne saurait tarder.
Le 9 septembre, porté par les blindés du colonel Houari Boumediene, Ben Bella fait son entrée à Alger. Aussitôt après, Mohamed Boudiaf et Hocine Aït Ahmed, tous les deux membres du GPRA dénoncent le « coup d’État ». Cela a dû être la première fois qu’on employait une telle notion dans l’Algérie indépendante. A peine quelques jours auparavant, tout le pays fêtait par des liesses populaires la proclamation d’indépendance prononcée par le président du GPRA, Benyoucef Ben Khedda.
Le 27 septembre, alors que le GPRA capitulait, Ben Bella constitue le premier gouvernement de l’Algérie indépendante. Son régime qui s’appuie sur le parti unique, a pour credo l’instauration du socialisme et l’autogestion agricole. Quelques mois avaient suffi à Ben Bella pour se mettre à dos ses anciens compagnons d’armes. Mohamed Khider claque la porte du FLN dont il était le secrétaire général. Boudiaf crée le PRS et s’insurge contre la politique des nouvelles autorités tandis que Ferhat Abbas alors président de l’assemblée constituante désapprouve l’Exécutif en démissionnant de son poste. En septembre 1963 Aït Ahmed créé le FFS avant de diriger une insurrection armée en Kabylie à l’issue de laquelle il est emprisonné puis condamné à mort. Auparavant Mohamed Boudiaf avait été arrêté et jeté en prison.
Une fois s’être débarrassé de ses opposants les plus redoutables, Ben Bella, tenta de s’émanciper du groupe d’Oujda en restreignant les prérogatives des éléments qui en sont issus. Au mois de décembre 1964 le chef de l’État cumulait dans ses mains l’Exécutif, le portefeuille de l’Intérieur, de l’Information, des Finances et le poste de secrétaire général du FLN.
Boumediene à la manœuvre
Boumediene, ministre de la Défense depuis 1962, en est irrité mais il ne laisse rien transparaître. Pendant plusieurs mois il va recevoir de nuit dans son bureau des Tagarins ses collaborateurs pour préparer le plan d’éviction du chef de l’État. Ayant réglé tous les détails de la mission secrète, Boumediene confie son exécution au commandant Abdelkader Chabou qui six ans plus tard tentera à son tour un coup d’État pour renverser l’ordonnateur du putsch de l’été 1965.
Ben Bella fut arrêté le 19 juin vers une heure du matin à la villa Joly au moment où il venait de se coucher. Tahar Zbiri en personne, accompagné de Saïd Abid et du Colonel Abbes, est venu frapper à la porte de sa chambre. Au même moment des chars font leur apparition dans les lieux stratégiques de la capitale. Les passants habitués depuis quelques jours à voir des engins militaires croyaient que c’était « du cinéma » sachant que le cinéaste italien Gillo Pontecorvo était en train de procéder au tournage du film La bataille d’Alger. Néanmoins, des manifestations sporadiques ont éclaté en cours de la journée dans plusieurs quartiers d’Alger. Mais c’est à Annaba qu’aura lieu une manifestation d’une assez grande ampleur où l’on déplore une dizaine de morts lors de violents affrontements avec les éléments de l’ANP. Le lendemain dimanche 20 juin plusieurs centaines de personnes dont beaucoup d’étudiants défilent à Oran. A Alger les manifestations se poursuivront dans les jours qui ont suivi le putsch aux cris de « Boumediene assassin ! ». L’Union nationale des Étudiants algériens (UNEA) condamne le coup d’État. Elle serait la seule organisation à l’avoir fait.
Ben Bella sera emprisonné pendant quinze ans et ne retrouvera sa liberté qu’en 1980. S’il n’avait pas été arrêté, le chef de l’État déchu aurait été consacré comme un des leaders du Tiers-Monde lors du sommet afro-asiatique qui devait avoir lieu à Alger le 29 juin. Au reste, son arrestation est intervenue au lendemain d’un accord avec le FFS d’Aït Ahmed et la décision de Ben Bella d’écarter Abdelaziz Bouteflika de son poste de ministre des Affaires étrangères.
A l’annonce de l’avènement de Boumediene, la population s’attendait de voir un gouvernement militaire. Mais il n’en fut rien. L’auteur du putsch va inaugurer une tradition qui va longtemps caractériser le système politique algérien : le changement dans la continuité. Proclamant un « Conseil de la Révolution » dont il prend la présidence, le nouveau chef de l’État reconduit presque le même personnel qui composait le gouvernement de son prédécesseur. La proclamation du 19 juin qui parle de « redressement révolutionnaire » dénonce le pouvoir personnel du « tyran », le « narcissisme politique » et l ‘ « amour morbide du pouvoir ».
Les putschs manqués de Tahar Zbiri
Deux ans et demi après le coup d’Etat du 19 juin, Tahar Zbiri, chef d’Etat-major de l’ANP, qui a pris activement part à l’arrestation de Ben Bella, se rend compte que Boumediene s’est accaparé de tous les pouvoirs en battant le record établi par son prédécesseur en matière de « pouvoir personnel ». Ben Bella tout de même n’avait jamais pu contrôler l’armée ! Le 14 décembre 1967, tentant de renverser Boumediene, il ordonne à trois bataillons de l’ANP de marcher sur Alger depuis El-Asnam (Chlef). La présidence contre-attaque en envoyant des Mig. Les troupes de Zbiri sont bombardées près de Mouzaia et El Affroun. Plusieurs centaines de morts dont un nombre appréciable de civils sont déplorés. L’opération mal préparée ou manipulée échoue, contraignant ainsi son auteur à prendre la fuite.
Ultime coup du clan Zbiri : Boumediene est la cible d’une tentative d’assassinat. Au sortir du conseil des ministres du 27 avril 1968 un soldat en faction chargé de surveiller les abords du palais du gouvernement s’approche du chef de l’État. Ce dernier venait de prendre place dans sa DS noire à côté du chauffeur. A ce moment, un tir de rafale de mitraillette retentit. Le chauffeur est grièvement blessé alors que Boumediene s’en sort presque indemne. Une balle avait à peine effleuré sa mâchoire. Depuis lors, Boumediene vit dans la hantise des coups d’État. Ce qui l’amène à faire admettre à la retraite les officiers anciens maquisards de l’ALN et promettre – selon sa sympathie personnelle – les officiers déserteurs de l’armée française (DAF). Il sait que les DAF ne pourront pas le concurrencer sur le terrain de la légitimité historique. Toujours est-il que le colonel Abdelkader Chabou qu’on a déjà évoqué comme l’exécutant du putsch du 19 juin fut soupçonné de renverser son mentor. Il périra en 1971 dans un accident d’hélicoptère. Le roi Hassan II aurait confié à Cherif Belkacem, membre du conseil de la Révolution un message secret pour Boumediene l’exhortant à se « méfier » du colonel Chabou qui fomenterait un putsch contre lui.
Un constitutionnalisme de putschiste
Boumediene a attendu 11 ans avant de tenter d’asseoir son pouvoir sur la légitimité constitutionnelle. Le 27 juin 1976 il s’offre par voie référendaire une nouvelle charte qu’il baptisa « Charte nationale », car l’Algérie avait précédemment connu la « Charte de Tripoli » (1962) et la « Charte d’Alger » (1964). Il confiera à un groupe d’expert et de juristes la rédaction d’une nouvelle constitution qui sera adoptée le 19 novembre par référendum. Le 10 décembre 1976 il se fait élire président de la République lors d’une élection complètement contrôlée. Candidat unique, il est élu presque à 100 % des voix. En 1977, des élections législatives sont organisées pour faire élire un parlement sans réelles attributions. Pourtant, dès cette année le régime de Boumediene commence à montrer des signes d’essoufflement, l’industrie industrialisante est un échec cuisant, les pénuries des produits de première nécessité se succèdent, la révolution agraire s’avère être du pur romantisme. Les fellahs devenus salariés ne font plus leur travail alors que la démographie a explosé. L’année 1977 fut particulièrement dure pour Houari Boumediene qui devait subir lors de la finale de la coupe d’Algérie de football l’affront de milliers de supporters de la JSK. Ceux-ci profitant de l’occasion avaient laissé s’exprimer leur frustration face au déni que le pouvoir de l’époque faisait subir à la culture berbère.
L’avènement de Chadli Bendjedid suite à un putsch soft
Au cours de l’été 1978, Boumediene se sent physiquement fatigué. En septembre il tombe carrément malade. Les rumeurs commencent à circuler. On parle d’un empoisonnement dû aux rayons émis par un flash d’un appareil photo appartenant aux services secrets israéliens. On parle aussi d’une tentative de coup d’État. Boumediene est évacué précipitamment sur Moscou, mais son état de santé ne s’améliore guère. Au terme d’une hospitalisation qui aura duré un mois, il rentre au pays pour mourir. Pendant ce temps des officiers supérieurs tiennent des conclaves secrets pour discuter de l’après-Boumediene. Pourtant la constitution avait déterminé la succession en cas de décès du chef de l’État. Elle a prévu que le président de l’APN assure un intérim de 45 ans jours durant lequel les élections sont organisées pour élire un nouveau président.
Mais dans la réalité des faits, les choses sont un peu plus complexes. Chaque clan espère imposer son candidat. Les prétendants les plus en vue sont réputés être les plus proches collaborateurs du chef de l’État agonisant à l’exemple du colonel Mohamed-Salah Yahiaoui, responsable de l’appareil central du parti ; de Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères ; et du colonel Chadli Bendjedid, chef de la 2e Région militaire.
C’est un cercle formé de dirigeants militaires et des éléments de la Sécurité militaire (SM) qui a dû finalement assurer l’arbitrage entre les clans en tranchant en faveur du Colonel Chadli Bendjedid. Ce dernier avait reçu notamment un coup de pouce de la part de Kasdi Merbah, alors chef de la SM. Ce qui lui permit de prendre l’ascendant sur ses principaux rivaux et sur les apparatchiks du boumediénisme comme Ahmed Draia, le colonel Ahmed Bencherif, Tayebi Larbi et Mohamed Benahmed Abdelghani. On est donc dans une logique de coup d’État permanent. L’armée choisit le président, ensuite ce choix est entériné par le parti unique du FLN. Ainsi le 7 février 1979 Chadli devient le 3e président de la République algérienne après des élections de pure façade. Auparavant Rabah Bitat avait assuré l’intérim et la constitution a été publiquement respectée. Ce sera l’un des traits les plus marquants du système politique algérien, cacher l’autoritarisme militaire sous le masque d’institutions modernes.
Les officiers DAF à la manœuvre autour de Toufik
Ce n’est qu’après la disparition de Boumediene que la nature du régime se révèle dans sa nudité. L’auteur du coup d’État du 19 juin était au centre du système et était considéré comme le seul homme fort du régime. Désormais, c’est un cercle d’officiers supérieurs qui se substituera au défunt président. Chadli ne sera pas considéré comme l’homme fort, étant parvenu au pouvoir ni par la force ni par la voie démocratique. Mais c’est lui qui, en 1984 hissera le grade le plus élevé jusque-là dans l’armée (colonel) au rang de général et parviendra à se faire accorder deux autres mandats de cinq ans. Ayant survécu aux événements d’octobre 1988, le « père » du multipartisme n’ira pas au-delà de la première élection présidentielle multipartite.
Chadli va de ses propres mains baliser le terrain à la prise du pouvoir des généraux DAF (Déserteurs de l’armée française). Très influencé par son chef de cabinet, le général Larbi Belkheir, en 1987 Chadli scinde la SM en deux entités séparées : la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA) confiée à Mohamed Betchine et la Délégation générale à la prévention et à la sécurité (DGPS) confiée à Medjoub Lakhal Ayat. La première s’occupe exclusivement des affaires militaires et la seconde, qui dépend de la présidence de la République, est chargée du contre-espionnage, de la sécurité intérieure et de la prévention des délits économiques. Après les événements d’octobre, Lakhal Ayat a été « remercié » et remplacé par Betchine qui cède ainsi son poste à la tête de la DCSA à un certain Mohamed Mediene dit Toufik. Le 27 juillet 1990 le général-major Khaled Nezzar est nommé ministre de la Défense nationale dans le gouvernement Hamrouche. C’est la première fois qu’un chef d’État se dessaisit d’un portefeuille aussi stratégique. En quelque sorte Chadli s’est mis volontairement au même niveau que Ben Bella, qui n’avait pu avoir le contrôle de ce poste, ce qui de ce fait lui valu d’être déposé par Boumediene sous la protection duquel il s’était rangé. Le pouvoir du tandem Belkheir-Nezzar en sort ainsi renforcé. Au lendemain de la victoire du FIS aux élections locales, le DRS (Département du renseignement et de la sécurité) voit le jour et sera placé sous l’autorité de Toufik. Mais désormais cet organisme ne dépendra plus de la présidence de la République mais du ministère de la Défense nationale.
Comme quoi, le multipartisme semblait être engagé avec de mauvais acteurs et ce d’autant plus que l’action du gouvernement de Mouloud Hamrouche commençait à déranger les intérêts des apparatchiks. Les réformateurs faisaient planer la menace d’un contrôle total sur les circuits de l’import-export et l’arrêt des commissions prélevées illicitement sur les importations. Il fallait que Hamrouche parte. C’est le FIS qui va donner aux généraux l’occasion pour le pousser vers la porte de sortie. Au mois de juin 1991, le parti de Abassi Madani lance une « grève générale » pour dénoncer la nouvelle loi électorale qui selon lui favoriserait le FLN. Alors que la grève fut un échec à Alger, les forces de sécurité investirent les places publiques à coup de gaz lacrymogène. Le 4 juin, désapprouvant cette manière de faire, Hamrouche est contraint à la démission. Sid Ahmed Ghozali remplace alors le chef de file des réformateurs et doit préparer les « élections propres et honnêtes » appelés ainsi parce que les décideurs militaires étaient convaincus que le FIS n’était pas en mesure de rafler la majorité des voix. Non seulement le FLN perdra mais il n’obtiendra même pas la deuxième place en se laissant devancer par le FFS de Hocine Aït Ahmed. C’est désormais le désarroi en haut lieu. Le 27 décembre 1991 le ministre de l’Intérieur, le général Larbi Belkheir se présente devant la presse avec une mine défaite et livide pour annoncer les résultats du premier tour des législatives.
Le coup d’État « sur canapé » et l’arrivée de Mohamed Boudiaf
Sur ces entrefaites, les décideurs militaires cherchent un moyen pour annuler les élections. Un slogan va faire très vite son apparition « sauver la démocratie ». Les généraux doivent réaliser un fait inédit : fomenter un coup d’État sous la barbe des « démocrates » et des partis désireux d’aller au second tour comme le FLN, le FFS et le FIS. Mais, comment s’y prendre sans se mettre au devant de la scène et prendre le risque de paraître comme les artisans du rejet de ces élections aux yeux de l’opinion nationale et internationale ? La solution envisagée était d’impliquer la « société civile ». L’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) alors dirigée par Abdelhak Benhamouda est approchée par la police politique. Ce dernier réunit des associations qui vont accoucher du « Comité national pour la sauvegarde de l’Algérie » (CNSA) à la tête duquel est désigné Abdelhafid Sanhadri. Le CNSA lance alors un appel à « sauver la démocratie et faire barrage au FIS en empêchant la tenue du second tour ».
Aït Ahmed pour sa part refuse catégoriquement l’arrêt des élections. Il appelle à une marche le 2 janvier 1992 à Alger pour la poursuite du processus électoral se disant « refuser la fatalité de la République intégriste après avoir refusé l’Etat policier ». Le CNSA ne craignant pas de se dédire, annonce être favorable à la marche du 2 janvier. Le 1er janvier 1992, Khaled Nezzar, ministre de la Défense nationale rencontrait Aït Ahmed pour l’assurer que l’armée n’interviendrait pas et laisserait se poursuivre le processus électoral. Auparavant, le 27 décembre, c’est le chef de l’État, Chadli Bendjedid qui recevait au siège de la présidence Abdelkader Hachani, responsable du FIS (au moment de l’emprisonnement de Madani et Belhadj) pour réaffirmer sa détermination à respecter le choix du peuple et sa disponibilité à « cohabiter ». Si l’appel d’Aït Ahmed a eu un profond écho,- près d’un million de personnes avaient défilé dans les rues de la capitale, – il n’en reste pas moins que le processus d’éviction de Chadli était déjà engagé.
Les généraux Belkheir, Nezzar et Lamari avaient réuni les 28 et 30 décembre l’ensemble des officiers supérieurs pour leur proposer de signer une « pétition » demandant la « destitution » du président de la République. Quand Chadli a pris connaissance des signatures des différents responsables militaires, il avait compris qu’il avait déjà perdu la partie. Le 10 janvier l’avocat Ali Haroun est dépêché au Maroc afin de persuader Mohamed Boudiaf, chef historique de la révolution algérienne de prendre en main les destinées du pays. Auparavant, Aït Ahmed s’est vu proposer la direction du pays mais, en bon légaliste, il déclina le « cadeau empoisonné ».
Ce 11 janvier, une annonce importante devrait être faite. Le JT de 20 heures est décalé d’une heure et s’ouvre soudain sur l’allocution du chef de l’Etat qui fait part de sa démission. Brossant un tableau sombre de la situation du pays, Chadli Bendjedid qui apparaît avec des traits tirés « estime que la seule solution à la crise actuelle réside dans la nécessité de me retirer de la scène politique ». Et d’ajouter « Pour cela … je renonce, à compter de ce jour, à mes fonctions de président de la République ». Le deuxième tour des élections législatives est désormais compromis. D’aucuns ont qualifié la démission de Chadli de « coup d’Etat sur canapé ». Le lendemain tous les médias se sont rappelé de la constitution du 28 février 1989 qui contient les dispositions relatives à la succession en cas de vacance du chef de l’État. Ainsi on annonça que le président de l’APN Abdelaziz Belkhadem assurera l’intérim au cours duquel seront organisées des élections présidentielles. Mais quelques heures plus tard l’on apprend que Chadli, avant de donner sa démission, avait signé la dissolution de l’APN. Les regards se tournèrent alors vers le président du Conseil constitutionnel, à qui revient en vertu de la constitution la mission d’assurer l’intérim en cas de vacance du président de l’assemblée nationale, mais le titulaire du poste, Abdelmalek Benhabiles, y avait opposé une fin de non recevoir. C’est la crise institutionnelle. Le 12 janvier le Haut conseil de sécurité (HCS) faisait observer l’impossibilité de poursuivre le processus électoral. Le même HCS inventa de toutes pièces une institution dont aucun article de la constitution de 1989 ne parle : le Haut comité d’État (HCE). Il déclara que la direction du pays allait être assurée pendant deux ans par cet organe. Rentré au pays après vingt-huit ans d’exil, Mohamed Boudiaf en devint le président le 16 janvier 1992.
NOTES :
- Beaucoup aujourd’hui font la confusion entre les dirigeants nés à Oujda et ceux qui ont été au service de Boumediene à Oujda durant la guerre d’indépendance algérienne. Le groupe d’Oujda en réalité n’existe plus en tant que groupe politique et ce, depuis les années 1970. Bouteflika, bien qu’il soit issu de ce groupe a été porté néanmoins au pouvoir par les officiers DAF (Déserteurs de l’armée française) qui n’ont rien à voir avec le groupe en question.