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Tête en bois représentant l'humain réifié

Anti-islamisme et mémoire

Tyrannie de la mémoire

Il est un oiseau mythique du nom de Goofus Bird, appelé parfois oiseau-mouche qui « vole en arrière » et « construit son nid à l’envers » parce qu’ « il ne soucie pas de savoir où il va, mais d’où il vient ». S’il y a une société qui plus que d’autres, a adopté le comportement de ce volatile étrange qui a été décrit par Borges, c’est bien la société algérienne. Que de temps n’avons nous pas dépensé à organiser des commémorations, célébrations et autres anniversaires à travers divers rituels cycliques dédiés à la réminiscence, et qui plus est, relayés par des écrits, des paroles, des images ou des réalisations télévisuelles ou cinématographiques. « Je ne vois bien que ce que je me rappelle , et je n’ai de l’esprit que dans mes souvenirs » affirmait Jean Jacques Rousseau. 

Nous sommes ainsi hantés par la mémoire qui nous dicte impérieusement son diktat.  En Algérie le premier novembre 1954 fut une date, une de celle qu’on considère comme phare. La mémoire de la guerre d’indépendance y demeure envahissante. Elle nous chante l’éden du peuple unifié car c’est à partir de la guerre d’indépendance que la nation se cristallise en tant que représentation. L’épopée de l’ALN-FLN a profondément façonné l’imaginaire algérien. Longtemps le moudjahid, l’ancien maquisard qui a combattu la France avait pu jouir auprès des jeunes générations d’une aura certaine.  Mais la mémoire possède une face cachée faite de trous béants, d’oublis et de pièges. La mémoire est dit-on sélective, car elle filtre les événements. Elle tait, nie, efface et refoule.

Les montagnes où retentirent les premières balles contre l’occupant étranger ne sauraient souffrir la présence de ceux qui ont trahi ou montré de la lâcheté. Ceux-là sont relégués dans les abysses chthoniennes et aux gémonies de l’Hadès. Les trous de mémoire qui concernent le passé récent sont comblés par le souvenir d’événements insignifiants sinon lointains qu’on peut n’avoir jamais vécus. On connaît moult détails sur l’emprisonnement de Jugurtha à Rome, le naufrage du Titanic et les compagnons du Prophète ; mais très peu de choses sur Ferhat Abbas.

L’Algérie étant née dans l’Un fusionnel patrie-parti, le multipartisme instauré au lendemain des événements d’octobre 1988 n’est-il pas entré en conflit avec la mémoire de la guerre contre la France menée sous le FLN historique ?  Dans quelle mesure cette mémoire nous aurait-elle incités à prendre l’envol dans la direction inverse à celle dans laquelle s’inscrivait l’histoire ? N’a-t-on pas revêtu l’habit des moudjahidine pour combattre le terrorisme ? N’avons-nous pas enterré de nos propres mains ce multipartisme dont on célébrait à l’époque la naissance ?

Un anti-islamisme littéraire malsain

Aujourd’hui, on a en Algérie une idéologie malsaine et détestable qui ne convient pas à la démocratie. C’est l’idéologie de la guerre civile des années 90. L’anti-islamisme y a survécu à la guerre sans réviser ses postulats comme si la cessation des hostilités n’était qu’une question de temps.  La figure de la dissidence, celle du traître s’est désormais incarnée dans le personnage du barbu hirsute. Chez Saïd Sadi, cette image a été reversée en tant que rebut dans le récit de la guerre contre la France.  Dans des conférences qu’il anime périodiquement, ce dernier nous invite à revisiter la guerre de libération nationale à travers ses propres lectures. Pour lui, le père du nationalisme algérien, Messali Hadj est un traître. En tant que patron du MNA, celui-ci  s’est rendu coupable d’une guerre civile contre le FLN. (Sadi ne le dit pas comme cela, mais on le déduit).  C’est compréhensible : l’ex président du RCD libère des affects pour surmonter des souvenirs traumatisants liés à sa propre traversée des années 90. C’est dire qu’une guerre civile en cache une autre.

Cela dit, sous la pression de la mondialisation, l’anti-islamisme algérien a  noué de puissants liens avec l’anti-islamisme européen. Un effet de miroir se produit, l’image du barbu maghrébin se mire dans celle du barbu du Vieux continent, mais avec en prime le prisme déformant des médias de part et d’autre de la Méditerranée. On passe sous silence les réalités locales pour ne focaliser que sur les comportements déviants, fautifs mais convergents.

Chez Amin Zaoui comme chez Kamel Daoud, le mot « musulman » a pris la place du terme « islamiste » comme pour se mettre au diapason des auteurs occidentaux.  Dans une chronique parue sur le journal algérien Liberté, Zaoui est allé chercher son barbu en remontant très loin dans le temps. Il le trouve dans Ibn Khaldoun qui relate l’autre guerre « coloniale », celle d’avec les Arabes.

Ce barbu-là se voit ainsi  imputer le désordre et les malheurs qui règnent de nos jours à Alger. Citant le même Ibn Khaldoun, Zaoui écrit « Tout pays conquis par les Arabes est bientôt ruiné… sous leur domination la ruine envahit tout… l’ordre établi se dérange et la civilisation recule… ». Telle que rapporté ce passage laisse évidemment supposer que l’historien maghrébin tient des propos racistes.  Zaoui n’a pas daigné expliquer que la traduction française réalisée par le baron de Slane manque de précision. Ibn Khaldoun parlait des nomades et stigmatisait plutôt un mode de vie qu’il opposait à la sédentarité qui à ses yeux représentait la civilisation.  Quant à Kamel Daoud, il est encore empêtré avec sa statue d’Aïn El Fouara, se sentant contraint de se fendre d’un article chaque fois qu’elle est attaquée par un barbu. Apprécié par les Berbères d’Algérie pour son anti-islamisme et la bienveillance qu’il a exprimée à l’égard de la culture berbère, il s’est métamorphosé par la grâce des médias français en intellectuel « arabe ». Dernièrement, j’avais été choqué en l’écoutant sur une vidéo parler (de nous ?) en nous attribuant les pires qualités qui soient. Nous souffririons de problèmes sexuels, de frustration, etc., etc. L’amour selon lui se mesure à l’aune du bouche à bouche visible à l’œil nu. On est sidérés de voir la facilité avec laquelle un poète se départit de sa sensibilité pour ignorer l’érotisme de la situation algérienne. Je vous le dis, on regrette presque l’humanisme des auteurs orientalistes du XIXe siècle. Quant à Boualem Sansal qui se dit ne pas aimer jouer les Cassandre, ne pouvant s’y retenir, il pense quand même alerter les Français sur l’imminence d’une nouvelle guerre civile en Algérie et le risque qu’elle fait peser  (avec ses barbus) sur l’Europe.

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