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Emmanuel Macron debout sur le perron de l'Elysée
Image de Boumediene Sid Lakhdar

Boumediene Sid Lakhdar

Enseignant

Le monarque républicain, Emmanuel Macron

Je me propose de répondre, en partie seulement, à Larbi Graïne posant la question, dans un article précédent, « À quoi sert un Président de la république ? ». Mais contrairement à lui, je m’extrais de la constitution algérienne que je considère comme nulle et sans effet pour cause d’un vice juridique grave, la violence d’État. Nous y reviendrons à la fin du propos.

Cela va me rajeunir de quarante ans car c’est l’une des questions académiques les plus convenues en droit constitutionnel, particulièrement à l’Institut d’Études Politiques (Sc Po Paris), toute ma jeunesse insouciante.

Par déformation professionnelle, il faut au préalable un détour pour rappel des concepts et rouages institutionnels hérités de l’histoire constitutionnelle des démocraties parlementaires.

Qu’est-ce qu’un régime parlementaire ?

Il fut inventé par les Anglais même si sa conception théorique date de la description par Montesquieu des fameux « trois pouvoirs » nécessaires à la conduite politique d’un État. Un régime parlementaire signifie que la démocratie est représentative et les représentants siègent au Parlement. Mais revenons sur ces trois pouvoirs de Montesquieu, la base de tout.

Le pouvoir suprême appartient au peuple et donc à sa représentation élue à travers des assemblées dont le nom est différencié par l’histoire propre des pays. Le plus souvent on constate un « bicamérisme » (deux chambres) dont l’une a, la plupart du temps, un pouvoir supérieur car directement issue du suffrage populaire direct, à l’exception de la constitution américaine qui inverse le processus pour des raisons de base fédérale. Le pouvoir législatif a pour rôle de voter des lois car c’est le peuple, lui seul, qui en a le pouvoir à travers sa représentation.

Puis en face, si j’ose cette expression imagée, se trouve le pouvoir exécutif. Symbolisé par une personne qui porte un titre différent suivant les pays. Le plus souvent, « Premier ministre » comme en France ou en Grande Bretagne, mais également « Chancelier(re)» comme en Allemagne ou « Président du gouvernement » comme en Espagne.

La personne qui occupe la fonction exécutive, encadrée par des ministres qu’il nomme, est normalement le chef de la majorité élue au Parlement. Cela est justifié car la volonté majoritaire du peuple doit être « exécutée ». Il se doit de convaincre et de contrôler sa majorité afin de valider les lois qui lui sont nécessaires pour gouverner. Il doit impérativement rendre compte de sa politique et de ses résultats aux parlementaires qui peuvent le renverser si sa majorité vacille ou s’inverse en minorité, même d’une voix.

Nous évoquerons rapidement le pouvoir judiciaire qui doit être absolument indépendant dans ses décisions même si la carrière des magistrats est contrôlée par l’exécutif. Mais elle est protégée par un statut solide, très souvent l’inamovibilité des juges, et par un Haut conseil qui est une tutelle qui juge des comportements déviants ou des nominations et révocations abusives. Les juges se conforment aux lois du seul pouvoir souverain, celui du peuple, par l’entremise des Assemblées.

Venons-en maintenant à une fonction qui est placée un peu trop rapidement dans le pouvoir exécutif car le prisme des deux situations, françaises et américaines, pousse automatiquement vers cette réponse à peu près erronée pour la quasi-totalité des pays réellement parlementaires dans le monde.

Le chef de l’État, une place à part

Non, je n’ai pas titré « Président de la république » car il existe, on va le voir plus loin, des monarchies constitutionnelles où le rôle de chef de l’État est occupé par un souverain(e).

Dès lors que le jeu démocratique dans un régime parlementaire met en place une alternance politique en fonction des majorités élues par le peuple souverain, se pose une question cruciale, quel est le point fixe qui réunit les consensus au moment où il le faut, quel est l’arbitre du jeu institutionnel ?

C’est le rôle du chef de l’État, nommé Président de la république lorsqu’il s’agit d’une république et Monarque lorsqu’il s’agit d’une monarchie. Étant entendu que le droit constitutionnel ne s’occupe (comme moi) que des régimes démocratiques. On dira ainsi, dans le second cas qu’il s’agit d’une « monarchie constitutionnelle ». Les deux exemples les plus connus sont la Grande Bretagne et l’Espagne. Rappelez-moi au souvenir du Maroc ou de la Jordanie lorsque ce seront des démocraties, un jour.

Le Président ou le (la) monarque n’ont absolument aucun rôle exécutif de gouvernement si ce n’est de choisir le Premier ministre (ou autre terme) en constatant l’alternance issue des élections. Parfois, les voix sont morcelées entre plusieurs partis, c’est au chef de l’État d’essayer de choisir un homme, ou une femme, qui sera le (ou la) plus à même de constituer une majorité. Ainsi il en est de même pour la démission du gouvernement qui sera présentée à ce même chef de l’État, Président ou monarque.

Le chef de l’État constate les résultats des urnes ou les blocages éventuels et met en œuvre la constitution, il est donc l’arbitre, le « passeur » pour qu’il n’y ait pas de crise institutionnelle. Par ailleurs son rôle de représentation intérieur et extérieur est loin d’être négligeable.

Il incarne l’ensemble de la nation puisque celle-ci ne saurait être représentée par la seule majorité, aussi large soit-elle. Il reçoit les chefs d’État et participe à de très nombreuses cérémonies officielles. Avec lui (elle), c’est l’État, dans son ensemble, qui est incarné. On dit qu’il incarne l’image et la continuité de l’État.

Dans une monarchie constitutionnelle, cela va encore plus loin, la famille royale incarne la continuité historique d’un peuple. À travers cette famille, les citoyens reconnaissent leur passé, leur propre existence quotidienne (familiale) et sont rassurés d’une continuité dans le temps.

C’est une prouesse assez remarquable car, normalement, le principe héréditaire du pouvoir est absolument contraire avec la définition juridique de la démocratie. Mais l’histoire de la démocratie a su introduire cette contradiction de taille pour prouver que la stabilité et la continuité sont des atouts tout autant nécessaires, à condition que le (la) souverain(e) « règne mais ne gouverne pas ».

Deux exceptions notoires

Comme rien n’est simple dans l’histoire du droit constitutionnel, car il est le produit des choix historiques complexes des peuples, deux exceptions notoires au principe parlementaire décrit plus haut sont à relever.

Aux États-Unis comme en France, on ne peut pas dire que le Président « règne mais ne gouverne pas », c’est même une hérésie de le dire puisque jamais puissance d’un chef de l’État n’a été aussi forte que dans ces deux pays.

Au États-Unis, le choix a été clairement celui d’une séparation très stricte des pouvoirs qui obligent le Président et les Parlementaires a trouver un accord, sous peine de paralysie. Cette idée vient du manque de confiance historique des États fédéraux envers un homme, seul et lointain, qui risquerait de se comporter comme l’ancien souverain anglais, la raison profonde de leur combat pour l’indépendance.

Quant à la France, nous sommes en présence d’un objet non identifié en comparaison avec toutes les autres démocraties parlementaires dans le monde.

La France et sa réforme anti-parlementaire de 1962

De Gaulle avait posé sa condition pour revenir, soit l’établissement d’une nouvelle constitution avec un exécutif fort. Il voulait en finir avec le régime des partis de la IVe république, accusée d’être la cause de la paralysie de l’État et de l’instabilité gouvernementale, avec pour conséquence les batailles perdues, au Vietnam et en Algérie.

Il revient tout d’abord en tant que Président du conseil (Ancienne dénomination du Premier ministre) car la nouvelle Ve république était encore un régime purement parlementaire à ses débuts, en 1958.

Une fois installé au pouvoir il proposa, en 1962, le vote d’un Président de la république élu au suffrage universel. On ne peut pas dire qu’il a trahi son électorat car ce dernier va massivement voter en faveur et, de plus, ce projet était de longue date, depuis le discours de Bayeux, dans les cartons de De Gaulle.

Et là commence le problème que nous allons examiner car, si la Ve république est considérée comme celle qui a apporté stabilité et progrès économique fulgurant, c’est une erreur totale d’interprétation contre laquelle je m’insurge. Ce sont les « trente glorieuses » (période économique faste) qui ont apporté une stabilité et non la constitution qui, d’ailleurs, au moment de la récession actuelle, démontre toute sa perversité et ses limites.

Toute la schizophrénie historique de la France, en considération de son rapport au souverain, est apparue dans le texte et l’usage de la Ve république.

Le rapport schizophrénique de la France avec son monarque

La France a une histoire plus que millénaire avec l’une des royautés les plus puissantes en Europe. Cette marque du temps est profondément ancrée dans l’inconscient d’un peuple qui recherche toujours un souverain, instinctivement, même lorsqu’il sera en république.

Durant des siècles, le souverain était sacré à Reims, doté des attributs de la royauté et béni de l’onction divine par le ciel, ce qui est le signe le plus fort dans une France catholique, au titre de « Fille aînée de l’Église » (titre attribué par le Pape).

Mais voilà, le peuple français a commis le pire des crimes de l’époque, celui du régicide. Et depuis la tête tranchée du roi, toutes les constitutions recherchent inlassablement à remplacer cette figure tutélaire que les gouvernants n’ont jamais pu trouver en voulant adopter des régimes démocratiques.

La schizophrénie française, c’est d’abord un record absolu du nombre de constitutions adoptées. La France est, en ce domaine, championne du monde des nations démocratiques depuis la révolution de 1789. La schizophrénie est allée très loin puisque les successeurs des révolutionnaires ont remis un roi sur le trône de France et, pire, ils ont même sacré un Empereur.

Depuis, les régimes constitutionnels français ont toujours, même lorsqu’ils ont basculé définitivement dans la démocratie avec la IIIe république, recherché une figure tutélaire, le « Père de la nation », le « sauveur de la patrie ».

Il y a ceux qui invoquent la nostalgie de Napoléon, d’autres l’image de Gambetta, de Clemenceau ou de De Gaulle. La France est démocratique, résolument, mais veut son « souverain » républicain. Et c’est pour cela que nous qualifions la Ve république de « monarchie républicaine ».

Le monde entier est surpris lorsque le Président français élu reçoit tous les attributs de sa fonction en une cérémonie qui n’a rien à envier au sacre de la cathédrale de Reims. Il descend les Champs Élysées pour être acclamé par son peuple et s’adresse solennellement à eux au 20 heures, dans une messe cathodique des plus convenues.

C’est un drame car la France attend tout d’un homme et sa démocratie est biaisée au regard des standards modernes des autres démocraties dans le monde. Et pire, une fois que le roi est placé sur le trône, il ne se passe pas quelques mois sans que l’instinct révolutionnaire refasse surface et que le peuple demande sa tête.

Avec l’énorme bêtise du quinquennat, la France passe du couronnement à l’échafaud en à peine quelques mois, sans jamais trouver son équilibre, c’est à dire une institution présidentielle qui était censée être la garante de la stabilité et de l’incarnation.

Le désastre algérien, « le pire sans le meilleur»

Bien que les deux constitutions soient radicalement différentes, notamment avec la présence de la religion dans le texte algérien et de l’existence de « parlementaires nommés » (une hérésie en droit), il est indéniable que la constitution française de la Ve république est lisible entre les lignes du texte constitutionnel algérien.

Dès le départ, j’avais rejeté toute analyse juridique sérieuse de cette constitution pour les raisons invoquées. Lorsqu’un pays, par l’intermédiaire de son régime militaire, emprisonne ses journalistes et ses opposants et met à genoux un peuple tout en le pillant de ses dernières guenilles, il est indécent de parler de droit et de constitution.

On peut deviner qu’il n’y avait pas meilleur texte que celui de la Ve république pour un maquillage démocratique par une dictature militaire. Il suffisait de négliger le mieux et d’y introduire le pire pour que la manœuvre soit servie au peuple.

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