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L'une des manifestations du Hirak à Alger
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Boumediene Sid Lakhdar

Enseignant

Une révolution ? Non, Sire, une révolte !

C’est, mot pour mot, la phrase historique de Louis XVI lorsqu’on le réveilla pour lui annoncer que le peuple s’était soulevé. Mais absolument en sens inverse de l’ordre de ses mots. C’est en 2019, en Algérie que ce titre aurait été adapté. Les raisons, juridiques comme historiques, en sont évidentes.

Commençons par le début. Très jeune encore, comme l’ensemble de ma génération en Algérie, j’avais eu l’impression de vivre, l’oreille collée au transistor, une véritable révolution de la jeunesse à travers le monde puis surtout, les événements de mai 1968 dans la capitale française.

Arrivé à Paris, pour des études de droit et de sciences politiques, qu’elle fut grande ma stupéfaction d’entendre et de lire que ce n’était pas une révolution, au sens historique et juridique du terme, mais une émeute, un souffle fort de contestation, bruyant mais pas systémique.

Là il faut immédiatement faire un tri que je n’ai pu opérer qu’avec un peu plus de maturité, plusieurs années plus tard. Il faut avouer qu’il restait encore de la puissance des grands mandarins de la période antérieure, celle de De Gaulle, et ils auraient écorché leurs lèvres en acceptant de prononcer le mot de « révolution ». Un peu comme cette pudeur sémantique pour la guerre d’Algérie, très longtemps nommée « les événements ».

Mais cette maturité, en même temps, comme dirait un certain Président, me met face à des arguments solides qui sont incontestables. Dont l’un d’entre eux est central.

Pour qualifier un mouvement populaire de « révolution », il est admis que doit être constaté une profonde rupture dont les signes probants sont la mise à bas des institutions, le renvoi massif des dirigeants, voire leur condamnation, et la remise en cause de certains fondamentaux, institutionnels ou de valeurs sociales, y compris dans leurs manifestations quotidiennes les plus communes.

Si le dernier point fut incontestablement constaté, tout le reste ne fut pas ébranlé d’un millimètre et le Président De Gaulle revint au pouvoir, quelques mois après, avec une majorité absolue historique. Échec et mat pour ceux qui essayent d’argumenter du contraire.

Mais revenons au seul point précédent qui semblait correspondre à la définition de la révolution, celui des mœurs, du souffle de modernité de la société. Celui qui fut incontestablement la genèse d’une révolution véritable dans les esprits.

En Algérie, la rue n’a rien provoqué de révolutionnaire non plus, à moins que des événements postérieurs à cet écrit le démontrent, je l’espère. En attendant, il faut revenir sur l’événement et rechercher ce qu’il y a de révolutionnaire en lui. Le point argumentaire éclate de son évidence, criant de sa présence.

Comme pour mai 68, c’est avec le temps seulement que la révolution apparaît lorsqu’on constate l’évolution et les ruptures, devenant incontestablement révolutionnaires au fil des décennies. C’est avec le recul que nous constatons le gouffre qui sépare les deux périodes, « avant et après 68 » dit-on, toujours rappelées lorsqu’il s’agit des mœurs sociales et, particulièrement, des libertés individuelles tout autant que leur manifestation en public.

Et cela, nous l’avons bien perçu dans l’extraordinaire jeunesse algérienne qui a su trouver une voie pacifique et intelligente à la manifestation de sa colère. Pour mieux débusquer cette révolution et la mettre en évidence, il me suffit de revisiter la dernière grosse manifestation de la rue, à la fin des années 1980.

Les jeunes hurlaient également leur joie et étaient certainement aussi débordants d’enthousiasme. Mais il y avait une grande différence, notoire. Jamais ils n’auraient pensé que l’humour, la dérision et le second degré puissent être décents lorsqu’ils revendiquent des « choses sérieuses ».

Lorsqu’ils confectionnaient des banderoles, lorsqu’ils prenaient la parole et, même dans leur gestuelle ou leurs éléments de langage (comme on dit aujourd’hui), ils s’appliquaient à prendre le regard austère, la voix posée et la posture solennelle.

Il étaient naturels, d’ailleurs, dès que le micro, la caméra ou le regard attentif de l’auditoire cessaient d’être en attention de leurs sentiments, de leurs gestes. C’était le naturel de la jeunesse qu’il manquait, cette force irrésistible sans laquelle les révolutions de la jeunesse ne se font pas.

Les jeunes manifestants, à cette époque lointaine, pensaient que la voix portante, la rage affichée et la violence des mots suffisaient. On ne peut pas leur enlever cette force mais elles sont loin d’être suffisantes.

La nouvelle génération, ce sont toujours les plus âgés comme moi, qui la trouvent inculte, superficielle et peu encline aux choses sérieuses du monde. Mais n’est-ce pas le rôle naturel des anciennes générations, comme du professeur que je suis, de trouver la jeunesse, superficielle, peu encline aux choses sérieuses et d’un niveau intellectuel qui les effondre ?

Elle est en fait, explosive, curieuse, veut tout savoir et tout obtenir. Finalement, elle est comme nous l’étions au lycée et plus haut dans nos études. Elle n’a plus honte d’exhiber sa soif, son énergie, comme nous l’avions fait à cette âge, dans une Algérie qui fut la notre, une autre Algérie.

« Non, Sire, ce n’est effectivement pas une révolution, c’est une révolte, mais emballez vos affaires et fuyez car elles sont de celles qui libèrent un violent souffle révolutionnaire dans les esprits, un jour ou l’autre ! ».

Un furtif pas de danse exécuté sous leur regard et leur barbe, ils ne perçoivent pas ce que c’est, cela leur est étrange et les paralyse. Continuez votre lutte pacifique, riez, moquez vous d’eux. Esclaffez-vous d’un fou-rire lorsqu’ils vous proposeront une élection ou des hommes censés redresser le pays.

Bon sang, ce que vous êtes magnifiques et beaux. Comme nous l’étions, à votre âge, avant que les ténèbres nous enterrent vivants.

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