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L'ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia entouré par des gendarmes

Le Hirak et l’armée : qu’est-ce qui se passe en Algérie ?

Conférence-débat animée par Habib Souaïdia et Omar Benderra. Librairie Résistances à Paris, 4 avril 2019

Habib Souaïdia, ancien officier de l'armée

 

Habib Souaïdia ex-officier de l'armée algérienne et auteur de la "Sale guerre"
Habib Souaïdia, Paris, 2019. © Photo mediaperso.org

Habib Souaïdia a entamé sa communication par le rappel d’une déclaration d’Abdelaziz Bouteflika au moment de son accession à la magistrature suprême  en 1999 “Dites aux généraux de me bouffer s’ils le veulent” et l’orateur d’enchaîner “voilà c’est fait”. Pour Souaïdia c’est l’armée qui désigne et dégomme les présidents. “Bouteflika dit-il n’est que la façade civile du régime militaire”.

" On a su que le général Toufik est revenu aux commandes avec certains partis politiques en vue d'organiser une transition démocratique en Algérie, et ce, en imposant Liamine Zeroual."

Guerre des services

Revenant sur la fameuse réunion ayant regroupé Tartag , Toufik et Saïd Bouteflika, l’ex-lieutenant des forces spéciales a estimé qu’il s’agit d’une guerre des services opposant la DCSA (Direction centrale de la sécurité de l’armée) qui dépend de l’état-major et la DSS (Direction des services de sécurité) qui relève de la Présidence. Souaïdia interprète cette réunion comme une “tentative des éradicateurs de prendre le relais et de manipuler la rue algérienne”.

On a su que le général Toufik est revenu aux commandes avec certains partis politiques en vue d’organiser une transition démocratique en Algérie, et ce en imposant Liamine Zeroual. 

“C’est la DSCA qui a vendu la mèche” a-t-il affirmé. Selon Souaïdia c’est cette réunion qui a incité l’état-major à renverser la situation en demandant à Bouteflika de partir immédiatement au lieu d’attendre jusqu’au 28 avril, date de l’expiration de son mandat”. 

La composante de l’état-major

Souaïdia  a expliqué que le personnel qui compose actuellement le commandement de l’état-major a profondément changé. “Les officiers que personnellement j’avais connus étaient à l’époque des commandants et des lieutenant-colonels, aujourd’hui  ils occupent les principaux postes à l’état-major à coté de Gaïd Salah. Ces officiers ont été choisis non pas par hasard, mais parce que ce sont des gens qui se trouvent  sur le terrain  depuis 1992.  Ils viennent des unités opérationnelles qui ont participé à la guerre antiterroriste durant les années 1990.  Ayant été propulsés à la tête des régions militaires, se sont eux qui soutiennent aujourd’hui Gaïd Salah. Ce sont les chefs de la sale guerre qui sont devenus les responsables de l’état-major de l’armée a-t-il souligné. 

La personnalité de Gaïd Salah

Souaïdia a décrit Gaïd Salah comme une personnalité molle, influençable par son entourage. “Gaïd Salah n’est pas la tête pensante de l’armée, comparé à Nezzar et à Mohamed Lamari, il fait pâle figure. Ils (Lamari et Nezzar) étaient des hommes à poigne qui en imposaient à l’armée.

Restructuration des services secrets

Selon Souaïdia, la restructuration en 2015 des services secrets qui a abouti à la dissolution du DRS a eu pour effet de mettre à l’écart plus de 150 généraux et officiers supérieurs. Amputée du DSCA, la DSS qui a remplacé le DRS, a été mise sous la direction de Tartag “un autre criminel de guerre”.

Transition démocratique

L’ex-officier des forces spéciales s’est dit ne pas avoir confiance en l’armée pour organiser une transition démocratique. Souïadia  a  souhaité que le peuple algérien poursuive la mobilisation et ne crie pas victoire tout de suite. “Nous sommes juste au début, je pense que les gens doivent continuer jusqu’à ce que l’armée cède”. Il reconnaît que l’armée risque de s’effondrer  si elle s’entête à ne pas écouter le peuple. “ j’espère que ces gens (les officiers de l’état-major) vont avoir la sagesse de satisfaire la demande populaire, sans cela c’est le chaos a-t-il prévenu.

Le couple algéro-français

Souaïdia a déploré le fait que les relations entre l’Algérie et la France soient confinées au niveau des services de renseignement et les réseaux de corruption . La DST travaillait main dans la main avec le général Smaïn Lamari a-t-il rappelé.

Omar Benderra, consultant, ancien responsable financier

Omar Benderra ex-responsable dans l'institution financière algérienne
Omar Benderra, Paris, 2019. © Photo mediaperso.org

Pour Benderra, la population fait preuve dans son ensemble d’une grande lucidité politique, d’un grand réalisme en demandant dans des formes extrêmement respectueuses la transformation du système. Selon lui, on est loin des révolutions dites arabes ou des printemps arabes ou des révolutions de couleurs qu’on a pu voir en Europe de l’Est, en Serbie ou en Ukraine.

" La population a compris que les partis islamistes ont permis aux militaires de déclencher la violence contre la société. "

L’État-major de l’armée

Le centre de décision qui est l’état-major est constitué pour l’écrasante majorité de personnes qui ont les mains pleines de sang. Elles sont les auteurs pour beaucoup de crimes contre l’humanité, de crimes de masse au cours des années 1990.

La longévité de Bouteflika

Pour Omar Benderra, la longévité de Bouteflika s’explique par deux raisons principales:

1 — Il a eu la chance extraordinaire de bénéficier des retombées du 11 septembre 2001 qui a renversé le regard des occidentaux sur le mouvement islamiste, c’est ce qui lui a donné une très grande légitimité et une très grande assise auprès de beaucoup de militaires. Larbi Belkheir et Khaled Nezzar l’ont ramené essentiellement pour protéger  le commandement de l’armée de l’hypothèque extrêmement sérieuse qui pesait sur lui. Le chef de l’Etat sortant a su assurer la couverture et l’immunité internationale aux militaires qui ont commis des exactions souligne Benderra.

2 — Bouteflika a su d’une façon très habile répartir la rente entre les divers secteurs du pouvoir militaro-policier algérien, cette rente a explosé vers 2004, passant de 60 dollars à près de 150 dollars le baril. L’embellie qui a duré jusqu’à 2014, avait permis au trésor public d’engranger 1000 milliards de dollars, c’est-à-dire 3 fois le coût estimé de la reconstruction de la Syrie.

Les oligarques sont des spéculateurs de bas étage

Les 1000 milliards de dollars ont été une manne céleste providentielle qui a permis la constitution d’une nouvelle caste d’hommes d’affaires qu’on a appelés par raccourci les oligarques. Ce sont des milliardaires et non des oligarques. Ce sont des spéculateurs ou des intermédiaires de bas étage qui se sont retrouvés par le fruit du clientélisme dans des postures d’accaparement de la rente. Ils ont ainsi pu constituer en très peu de temps, en association avec des généraux de la police secrète et de l’armée des fortunes colossales. Cette manne a permis également par la redistribution d’anesthésier la demande populaire en termes socio-économiques et politiques.  Cela a ouvert la voie à un système de corruption généralisé qui a permis au régime militaire d’avoir une sorte de base sociale nourrie à la fois de prébendes, de subventions et de passe-droits.

Les médias privés servent un islamisme obscurantiste

Ce système de corruption généralisé poursuit Benderra a été alimenté idéologiquement par les médias qui diffusent une sorte de propagande islamo-obscurantiste de type piétiste ou quiétiste. Cette propagande exclut les revendications politiques du discours religieux. On a affaire à une double corruption par l’omniprésence d’un discours bigot, archaïsant, misogyne et séparatiste puisque sans arrêt ces nouvelles télévisions privées financées par les oligarques ont donné aux militaires et à la police secrète la possibilité de fractionner le front social entre Kabyles et Arabes, de sorte à maintenir la tension sociale et la démoralisation de la société à tel point que le seul mode de protestation  qui était réservé à l’Algérie était l’émeute.  

Selon Benderra, la population a compris que les partis islamistes ont permis aux militaires de déclencher la violence contre la société.

Loin d’être anomique, la société algérienne est extrêmement éthique. Cette population a globalement et profondément changé. Le fait qu’il y ait presque 2 millions d’étudiants dans le supérieur, n’y est pas étranger. On voit que ces jeunes de 18-20 ans sont probablement la première génération dont les mères ont été massivement éduquées et instruites. De nouveaux rapports sont en train de s’établir et ils sont nourris par l’ouverture extraordinaire permise par les médias sociaux. Cela explique pour une très large part cette mutation. Et Benderra de poursuivre : on enregistre une perte d’influence de l’islam politique traditionnel. La population reste religieuse, car l’islam est un constitutif structurant de la société algérienne. Cette religion a permis, a-t-il dit, au peuple algérien de conserver sa personnalité face à un colonialisme particulièrement violent, pernicieux et pervers. C’est une valeur qui ne risque pas de disparaître du jour au lendemain mais qui est en train de se modifier. C’est ce que nous observons. La population reste musulmane, mais a compris que les directions des partis islamistes, soit le FIS ou les autres, ont permis aux militaires de déclencher cette violence contre la société. La guerre de terreur, la guerre de punition infligée au peuple algérien  après le coup d’état militaire du 11 janvier 1992 a été permise par les prétextes offerts par la direction des partis islamistes. Pour l’orateur, il y a eu une perte de crédit qui est mesurable par exemple au fait qu’un dirigeant islamiste comme Ali Belhadj, victime d’exactions policières violentes et brutales, n’a pas suscité un élan de solidarité qui aurait été mécanique il y a une quinzaine d’années. On a une société en mouvement face à un régime figé sur sa période la plus sanglante souligne Benderra. Et celui-ci de s’interroger : La question est de savoir comment arriver à une sorte de compromis entre une population très en avance et une direction politique archaïsante et repliée sur son passé peu flatteur.

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