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Le président Abdelaziz Bouteflika sur un fauteuil roulant s'apprêtant à voter

Une démocratie de façade qui n’en a cure de sa façade

Aujourd’hui tout le monde admet en Algérie comme ailleurs que le président Bouteflika « a fait son temps ». Il le disait d’ailleurs lui-même, du temps où il pouvait encore faire des discours. Maintenu à la tête de l’État malgré une maladie qui l’empêche de parler et probablement de réfléchir, le président algérien ne fait parler de lui que par son invalidité et son incapacité à gérer le pays.  Depuis à peu près cinq années, il n’est présent sur la scène nationale algérienne et internationale qu’à travers son handicap. L’humour populaire qui s’est saisi de la question, vante au demeurant, les mérites de la médecine algérienne qui aurait réussi la greffe des cerveaux. Le pouvoir aurait bien voulu ne jamais exposer le malade et le garder bien loin des feux de la rampe et des réseaux sociaux.  Mais c’est contraint par la pression de l’opinion et des médias qu’il a été amené à le faire. On a vu comment chaque sortie de Bouteflika s’était soldée par un fiasco médiatique.  Le Président y apparaissait sur son fauteuil roulant, le visage méconnaissable, séparé de la foule par un dispositif de sécurité qui en dit long sur l’épouvante des décideurs.  Tout est fait pour éviter l’éventualité que quelqu’un dans la foule puisse avoir la fâcheuse idée d’interpeller ou tenter d’échanger des propos avec un Président qu’on sait incapable de formuler la moindre phrase.

Le politologue  Mohammed Hachemaoui dans une déclaration au journal français La Croix au mois d’avril dernier, a eu raison d’affirmer que ce sont les services de renseignements qui dirigent l’Algérie 1.

  Aucune institution de la République, encore moins une personnalité politique n’est en mesure de suppléer à la vacance du pouvoir. C’est certainement pour faire écran de fumée à cette réalité qu’on a créée de toute pièce la légende de Saïd Bouteflika auquel on prête des pouvoirs quasi magiques. Le frère cadet du Président se serait accaparé les leviers de commande et les généraux feraient la queue devant son bureau pour y être reçus. On a également brodé une autre légende, qui cette fois-ci, concerne directement Bouteflika. Cette légende dit qu’il aurait mis fin à l’hégémonie exercée depuis les années 1990 par le DRS (les services secrets). Bouteflika aurait réussi à rétablir le pouvoir civil en prenant l’ascendant sur les militaires. Cette fiction cousue de fil blanc fait oublier que dès 2010, le Président avait perdu le contrôle de la situation, n’ayant pu reconduire au sein de son gouvernement ses ministres -pivots qu’avaient été Yazid Zerhouni et Chakib Khalil. C’est au cours, du reste, de la même période que le DRS avait divulgué des affaires de corruption impliquant des proches de Bouteflika.

Un homme ambigu

C’est finalement un étrange personnage que cet homme qui a succédé au général Liamine Zeroual après la guerre civile des années 1990. Autant  il n’a pu s’imposer à l’intérieur face aux décideurs de l’armée, autant il a su se construire une aura internationale. Conjuguée au contexte du développement du djihadisme au niveau planétaire, et la remontée en flèche du baril du pétrole,  la réputation de Bouteflika a fait bénéficier le régime du soutien des grandes puissances. Devenue gros client d’armement des États-Unis puis de la Russie, l’Algérie a réussi à rompre l’isolement dans lequel elle s’était enfermée durant les années noires du terrorisme. Même malade, le chef de l’État algérien est réélu en 2014 pour un 4e mandat et ce, avec l’onction de l’Union européenne et de l’Onu. S’il fut long, son règne a été néanmoins plus nominal qu’autre chose. Sur quatre mandats successifs, il en a consommé presque la moitié dans des allers-retours entre sa résidence et les hôpitaux étrangers.

Favorisés par la conjoncture internationale, les décideurs militaires, autrefois plus soucieux d’entretenir la démocratie de façade ; en sont venus à oublier les règles la régissant. Confrontés au problème de la succession de Bouteflika auquel visiblement ils n’ont pas encore trouvé de remplaçant ; ils se sont retrouvés contraints de lui accorder une rallonge prenant ainsi le risque de dévoiler leur propre jeu. De plus en plus exposée, la maladie présidentielle avait alors commencé à crever les images ainsi que les écrans et ce, jusqu’à ne plus dissimuler sa réalité implacable. Ainsi tout se passe comme si l’Algérie avait sombré dans une démocratie de façade n’ayant cure de sa façade.  Au même moment, comme si Bouteflika était déjà mort, on voyait dans les meetings des thuriféraires brandir des portraits du chef de l’État qui dataient de l’époque où il ne se déplaçait pas encore en fauteuil roulant.    

Fléchissement de l’environnement international

Pourtant en avril 2016, la scène diplomatique algérienne enregistrait sa première alerte. A l’issue de la visite officielle qu’il venait d’effectuer en Algérie, Manuel Valls, alors Premier ministre de France poste sur Twitter la photo de sa rencontre avec le chef de l’État algérien. Ce geste pouvait être perçu par Alger comme une marque de sympathie, n’eût été le fait que la photo donnait à voir l’hôte de Valls complètement mal-en-point. L’image qui a fait le tour du monde avait fait sensation dans les réseaux sociaux. Mais pourquoi le Premier ministre français se serait-il privé de diffuser l’image d’un rendez-vous, de surcroît officiel ?

C’est en février 2017 que l’opération marketing mise en place par la police politique pour gérer l’image de Bouteflika, subit son revers le plus sérieux. Pour la première fois le chef de l’État algérien, qui excellait sur le plan diplomatique, est contraint de « renvoyer » chez lui un partenaire de stature internationale. La chancelière allemande, Angela Merkel qui devait se rendre en visite officielle en Algérie voit subitement  sa visite annulée. Le communiqué officiel de la présidence algérienne annonçant l’annulation de la visite, avait évoqué  une  indisponibilité temporaire » du Président qui souffrirait d’une  « bronchite aiguë ». Cet événement qui fut vite oublié, a été peut-être le moment où l’on venait, sans s’en rendre compte, de signer l’arrêt de mort de la gouvernance par malade interposé. Alger n’ayant pas vu venir le coup.

N’empêche, la maladie était devenue trop visible pour qu’il soit possible au souffrant de présider aux destinées du pays.  La chose avait dû exaspérer les partenaires étrangers de l’Algérie (Européens et Américains, surtout) car ils se sont retrouvés, malgré eux, impliqués dans un processus de camouflage rendu inopérant par la vacuité des artifices utilisés. En un mot, les étrangers vont paraître plus soucieux de l’image de l’Algérie que le pouvoir algérien lui-même. Le Vieux continent devait comprendre qu’il risquait de compromettre sa crédibilité s’il venait à cautionner un nouveau mandat de Bouteflika. Les commentaires récurrents parus dans la presse européenne et mettant en doute la capacité du chef de l’État algérien à gouverner ; ont poussé les autorités algériennes à la faute. Pressées de rassurer, elles ont été amenées à faire le contraire de ce qu’elles auraient voulu, en montrant un Bouteflika sous ses plus mauvais jours. Chacune des apparitions spectrales du président grabataire, est suivie par des salves d’appels à quitter le pouvoir. L’intervention vidéo de la journaliste Layla Haddad depuis le Parlement européen à Bruxelles, n’avait servi que de mégaphone à des acteurs dont la voix a été étouffée en Algérie. Ce qui a changé, c’est donc le lieu d’émission de l’appel. Ayant été lancé  à partir de l’enceinte officielle d’une institution européenne,  le message ne s’adressait pas, malgré les apparences, à Bouteflika mais à ceux qui ont décidé de le maintenir sous perfusion. Les développements qui ont suivi : sanction de Mme Haddad, et expression des « regrets » par le Parlement européen à l’Algérie ne sauraient gommer cet acte, fût-il non conventionnel, dès lors que sa portée politique reste indéniable.  Le mal étant fait, Alger devrait en prendre acte.

NOTES :

  1. Je crois néanmoins que M. Hachemaoui se trompe en prédisant que le successeur de Bouteflika serait l’actuel Premier ministre, Ahmed Ouyahia.

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