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photographie du parlement et sénat algériens
Image de Boumediene Sid Lakhdar

Boumediene Sid Lakhdar

Enseignant

Trente ans après, notre projet de constituante revient ?

Membre de l’exécutif national du FFS de 1990 à 1999, chargé des affaires juridiques (Constituante), je n’avais même pas eu le temps de rédiger les premières lignes lorsque les chars sont descendus dans la rue pour nous siffler la fin de nos libertés. Trente ans après, même si j’ai du mal à dissimuler un léger frémissement moqueur de la lèvre, je me réjouis sincèrement que l’idée revienne. Je souhaiterais tant qu’ils profitent de notre expérience malheureuse et de nos réflexions passées.

De nombreux intellectuels se sont prononcés politiquement dans les médias, en faveur d’une constituante aboutissant à une seconde république. C’est pour moi, en même temps un amusement de les voir revenir sur leurs certitudes de l’époque qu’une énorme satisfaction. Allez savoir lequel des deux sentiments va l’emporter car l’être humain est si malicieux, à mon âge. Il n’a plus de rancune mais il garde une mémoire, comme l’affirmait Georges Pompidou.

Mais revenons à cette histoire de constituante. Nous savions à notre retour que les émeutes d’octobre n’étaient pas une révolution, j’espère que les jeunes manifestants d’aujourd’hui font cette distinction entre un grand coup de colère et une révolution, au risque d’une déception à venir considérable.

Une révolution, c’est la mise à bas des institutions et une rupture profonde avec les structures de pensée qui nécessite une remise à plat complète. Alors comment, dans ces conditions, la jeunesse algérienne doit-elle s’y prendre pour éviter nos échecs du passé ?

Le refus des institutions, sans concession

Tout d’abord, il faut dire que nous n’avions pas le choix et devions passer par les institutions de l’État en ruine mais nécessaires pour notre projet. Cependant, dès lors que les chars étaient descendus dans la rue et les libertés muselées, aucun démocrate ne pouvait plus, sans risquer la compromission, rejoindre les institutions algériennes. On nous avait bernés une fois, il n’était pas question de recommencer l’erreur sous n’importe quelle forme que ce soit. Mes anciens camarades ont pourtant commis cette faute impardonnable de participer aux institutions.

C’est la première grande leçon que doivent retenir les jeunes manifestants. Je voudrais tant que leur extraordinaire fougue soit intacte aussi longtemps qu’il soit nécessaire pour abattre le régime définitivement. Mais c’est long et difficile, qu’ils prennent garde à ceux qui ont hurlé à leurs côtés, les hurlements cachent toujours des surprises.

Que la jeunesse ne succombe donc surtout pas aux sirènes des grandes conférences nationales sur ceci ou cela, de la nomination d’hommes à priori consensuels et encore moins de ceux ayant appartenu au régime. Et éviter le piège absolu de toute élection qui serait proposée. Le temps est long avant l’effondrement de Rome, les vigilances des combattants finissent toujours par s’estomper.

Mais alors comment parvenir à une constituante en rejetant toute l’armature d’un État et ses dirigeants ?

Susciter un profond débat libre, hors des institutions

Le chemin qui aboutit à la constituante, la jeunesse peut le créer hors des institutions. Elle doit organiser des forums et rencontres de toutes natures, en tous lieux. C’est un ciment qui crée les fondations et l’énergie qui mènent à l’assemblée constituante. Il n’en faut pas plus mais il le faut impérativement.

Une constituante, ce n’est pas une humeur ni des protestations mais un processus politique préparatoire, sérieux et collectivement mené. C’est tout à fait possible, la jeunesse est encore plus éduquée qu’elle ne l’était il y a trente ans. Elle dispose d’amphithéâtres et de réseaux sociaux propices au débat. La plupart sont au courant des affaires et sentiments du monde extérieur, beaucoup voyagent et communiquent hors des frontières. En tous cas, considérablement plus que la majorité des jeunes que nous avions rencontrés il y a trente ans.

La rue n’est pas le lieu propice à une production sérieuse et réfléchie. Poser les bases d’une seconde république est une mission bien plus complexe où une dimension intellectuelle maîtrisée doit prendre le pas sur l’intelligence vive d’une jeunesse débordante de vitalité.

Car à ce moment de la constituante, les questions taboues doivent ressortir en plein jour ou se dissimuler à jamais dans les entrailles d’une société définitivement condamnée aux ténèbres.

Entrer dans le dur, la définition des principes fondamentaux

Et la première des questions courageuses, la jeunesse algérienne est-elle prêtre à définitivement adopter la laïcité ? La religion doit être sortie de la constitution et revenir là où elle n’aurait jamais du sortir, dans les consciences personnelles.

Le second point est celui du statut de la moitié de la population, tenue en esclavage par le code de la famille. Les jeunes garçons, manifestants dans la rue, veulent-ils abandonner le privilège d’hériter considérablement plus que leurs sœurs ? Il faudra qu’ils répondent car jusqu’à présent, cela ne semblait pas trop les chagriner, du moins il sont restés silencieux. Il va falloir trancher et la référence à la religion sera un argument trop court.

Ensuite, acceptera-t-on de demander des comptes au système des généraux et aux milliardaires offshore ? La justice n’est pas la vengeance mais la nécessite absolue d’épurer le passé pour entrevoir un avenir serein.

Quant à la question éternelle, car profondément ancrée dans la définition de la nation, c’est celle de l’acceptation de la dignité de nos compatriotes berbérophones. La solution est dans les cœurs et la fraternité, pas seulement dans la proclamation légale.

Ces quatre points ne sont pas les seuls, bien entendu, mais ils me semblent être la matrice générale qui verrouille la société d’une chape de plomb. C’est par eux que le verrou peut définitivement sauter, pour un avenir plus éclairé.

Devra-t-on attendre trente ans encore ?

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